Diddu a écrit:(à propos de l'article paru dans Libé) Une succession de petites anecdotes sans grand intérêt pour moi justement, et aucune clef de lecture par rapport à l’album, tant est qu'il y en ait à trouver.
Entièrement d'accord avec toi, Diddu.
Cet article est totalement creux, en effet. Etonnant. Il fut un temps, ça doit remonter à deux bonnes décennies, où on pouvait trouver de l'intérêt à lire la critique d'une BD en lisant n'importe quel grand quotidien
Libé,
L'Huma,
Le Figaro ou
Le Monde. Les auteurs de ces billets avaient de solides connaissances sur le fond. Et ils parlaient avant tout de l'œuvre en question, même s'ils pouvaient agrémenter et enrichir leurs commentaires d'anecdotes savoureuses.
Mais ils ne faisaient pas un long hors sujet comme ici.
J'aime le Blake et Mortimer historique, j'aime et j'admire Jacobs (j'éprouve une tendresse particulière pour l'homme qu'il fut et quand je pense à lui, sa part d'ombre et de mystère me fascine) et j'apprécie également François Schuiten pour son talent mais aussi pour les qualités humaines qu'on décèle en lui.
Je le crois sincère quand il avoue humblement s'être planté dans la représentation des casques de policiers militaires. Il est touchant quand il dit
«Ça m’énerve parce que ce genre de conneries, Jacobs ne l’aurait pas fait. Je me suis rendu compte que j’ai été très marqué par lui, je m’en suis nourri.»Toutes ces qualités ne suffisent pas pour que je prenne du plaisir à la lecture de certains passages ineptes.
Schuiten déclare qu'il s'en veut pour cette histoire de casque. On le pardonne bien volontiers.
Mais il pourrait aussi en vouloir à son coloriste d'avoir commis une belle bourde que Jacobs aurait probablement évitée. Explications.
La première chose qu'un pilote d'avion met en marche après avoir activé la batterie, et cela doit être accompli impérativement
avant même de lancer le(s) moteur(s), de jour comme de nuit, ce sont les feux dits de navigation (ou encore de position). Ceci pour attirer l'attention des gens pouvant évoluer sur le tarmac et celle des pilotes dans les autres appareils qui manœuvrent sur les aires ou sont susceptibles de le faire, ainsi que la tour de contrôle éventuelle.
Ces lumières sont uniformément (même au pays des mangas) rouge à gauche et verte à droite, situées aux extrémités (saumons) de l'aile. Combinées avec un feu anti-collision (feu blanc à éclats) positionné à l'arrière de l'avion (sur une partie fixe de l'empennage vertical) elles permettent à un observateur extérieur (au sol ou en l'air) d'évaluer assez vite le déplacement de l'avion, donc sa trajectoire. On pourra prendre les dispositions qui s'imposent pour l'éviter (ce qui peut se produire dans l'extrême urgence car les choses vont vite entre le moment où on aperçoit des feux et celui où on se croise, les composantes des vecteurs vitesse s'additionnant), le croiser ou le dépasser (par la droite, impérativement).
Ici, Laurent Durieux s'est cru autorisé à doter l'avion de quatre feux rouges ; trois sont très fantaisistes (page 29 de l'édition courante).
Si je vois quatre lumières rouges (ou vertes) se déplacer dans le ciel, sans rien distinguer d'autre, je serai convaincu d'avoir aperçu un OVNI.
Imaginez-vous dans une bagnole pourvue pour tout éclairage de quatre feux blancs ou de quatre feux rouges (au choix) et rien d'autre, aux emplacements habituels, en train de rouler sur une étroite et sinueuse route de montagne par une nuit sans lune et sans la moindre lumière astrale, ou encore par temps de brouillard. Les autres véhicules disposent strictement des mêmes feux que vous. Bonjour les croisements !
Alors, ce qui vaut au sol, est tout autant valable pour la navigation maritime ou fluviale (prévention des abordages) et pour la navigation aérienne (éviter les collisions). Pas besoin de sortir de Polytechnique pour le piger.
L'aéronautique n'a fait que reprendre un système qui avait fait ses preuves en matière de navigation maritime et fluviale, avec les feux de côté (rouge-bâbord et vert-tribord) et des feux de poupe (blanc, couvrant un certain angle du secteur arrière) et de tête de mât (blanc, diffusant sa lumière vers le secteur avant) des navires et des bâteaux.
L'utilisation de feux rouges uniquement à l'exclusion de tous autres ne pourrait que signifier : pour l'aviation, danger, obstacle fixe ou modérément mobile (grue, ligne à haute-tension, tour, etc...) et en matière maritime ou fluviale : attention, danger, aucune capacité de navigation, donc a fortiori d'évitement des abordages (deux lumières rouges superposées). Un navire ensablé devra, si sa capacité électrique le permet, ajouter à ces lumières rouges un feu blanc couvrant l'horizon sur 360 degrés.
Quelques rudiments
ici et
là.Bon, Jacobs le méticuleux n'aurait sans doute pas commis l'erreur. Mais il semble qu'il ait été trahi par un coloriste du Lombard pour la séquence avec le bimoteur
PA-31 Navajo dans
Sato 1, qui s'étire des pages 17 à 22.
Les feux de navigation sont corrects (vert et rouge) mais la dérive devrait produire un éclat blanc et non pas rouge ; il y a également un lumière rouge sous le fuselage. Il faudrait voir les originaux et les indications de couleurs de Jacobs, mais je suis persuadé que ces entorses à la réalité ne sont pas du fait de Jacobs. Si les couleurs sont bonnes aux saumons d'aile, il n'y a aucune raison de se planter sur le "gouvernail".
De toute façon, dans le Dernier pharaon, toute la séquence aéronautique et encore davantage le saut de Mortimer en parapente sont du niveau de Mickey et Donald ou de l'Agent 212, mais pas de Blake et Mortimer.
Même en admettant (mais le texte devrait le préciser, les récitatifs de Jacobs remplissaient cette fonction) que Mortimer se soit régulièrement entraîné au saut (y compris nocturne) en parapente, il lui faudrait un équipement minimum : casque, chaussures et tenue appropriées, altimètre, variomètre, GPS et compas ne seraient pas un luxe pour piloter son aile et calculer sa navigation sous dérive (oui, ce n'est pas une descente sous un parachute pamplemousse mais un vol libre en parapente, précédé d'une chute libre). Il est d'ailleurs question, dans le texte des scénaristes, que Mortimer doit planer (se déplacer en chute libre avant d'ouvrir pour atteindre un point d'atterrissage qu'il faut avoir préalablement défini en préparant le saut ; cela suppose de sauter d'assez haut [*] pour effectuer une descente en chute libre et se déplacer dans l'air comme un mauvais planeur, avant d'ouvrir la voile. On n'a pas l'impression que c'est ce qui se passe.
"3, 2, 1, j'ouvre..." Je comprends d'ailleurs son empressement à ouvrir sa voile, car dans la première vignette de la page 30, on distingue nettement les véhicules sur la route et les lampadaires bordant la chaussée. Le Pilatus PC-12 ne doit voler qu'à 1.500 ft/sol (460m) mais on va être généreux et accorder dans le doute une hauteur de 2.000 ft/sol (soit 610m). Une ineptie, de la folie pure pour un saut à ouverture commandée retardée, quand on sait que le largage devrait s'effectuer entre 9.500 et 10.000 ft. La descente rapide en chute libre (200 km/h) devant être interrompue par l'ouverture avant l'altitude de sécurité de 1.500 m/sol, soit 4.900 ft.
C'est donc à une véritable mission suicide que le vieux professeur est convié à l'âge où on se distrait en "allant manger une glace en sortant du cinéma". Mortimer s'élance dans le vide pratiquement à l'aveuglette, sans casque et sans matos pour contrôler sa direction, son altitude, son taux de chute, etc... A lui de découvrir la force et la direction du vent. Avec un gradient qui évolue quand on se rapproche du sol... On peut passer d'une vitesse dans l'air (je parle de celle qui assure la portance) qui diminue de moitié et provoque un décrochage, par simple diminution du gradient consécutive aux obstacles qui modifient l'écoulement de l'air.
Inimaginable ! Mais pas pour Gunzig, Van Dormael et Schuiten.
En parapente, une fois que l'aile est déployée, on doit fixer assez tôt son point d'atterrissage et s'y tenir, sous peine de se mettre en grand danger. Tout comme en avion, l'atterrissage ne s'improvise pas à la dernière minute (sinon, on parle de crash). La réception brutale de Mortimer (son coccyx est solide) ne surprend pas le lecteur qui a assisté aux difficultés du professeur pour accomplir son vol.
Faut-il préciser qu'en page 31, l'angle de 45° que Mortimer et ses suspentes forment avec la verticale entraîne une augmentation du poids considérable (à 60°, la masse suspendue pèse le double...) et de la traînée, et s'accompagnent d'une forte diminution de portance avec accroissement simultané du taux de chute ? Il y a alors risque majeur de décrochage.
Par ailleurs, le passage entre les deux tours verticales aurait dû se terminer par un accident meurtrier (projection de Mortimer contre la façade d'une des tours ou bien chute au sol comme un caillou après décrochage brutal). Mortimer devrait se trouver pris dans un phénomène de cisaillement de vents [*] (combinaison meurtrière de violents courants aériens de directions différentes, ascendants et rabattants) qui affecte très fortement la portance. L'aile du professeur devrait s'être refermée depuis longtemps...
[*]Ce que suggèrent le texte et le dessin. Si on dessinait une voiture qui tombe dans un ravin, il faudrait expliquer comment ses occupants sont indemnes quelques cases plus loin.
Jacobs ou Charlier, pour faire passer la pilule, auraient pris soin d'expliquer au lecteur (grâce à des récitatifs d'une grande clarté pédagogique) les actions entreprises par Mortimer pour éviter le pire et accomplir ainsi un miraculeux exploit à la manière d'un chuteur opérationnel ou d'un as du vol libre en parapente.
Ce qui est pénible, pour le lecteur, c'est de se dire : c'est Fantomiald, déguisé en Mortimer, qui vient de réussir cette prouesse, avec un parapente révolutionnaire mis au point par Géo Trouvetout.
Je suis désolé pour cette tartine liée à deux ou trois points de détail. Mais Jacobs était un homme qui accordait beaucoup d'importance aux détails, tous ses biographes en attestent.
Je vous fais grâce des incohérences sur le plan institutionnel. D'autres que moi les ont déjà pointées. Les auteurs s'en tirent par une pirouette (ce n'est pas une ellipse) pour dire que les gouvernements (lesquels ?) ont court-circuité l'OTAN et le Conseil de Sécurité des Nations Unies.
On a l'impression que les Etats-Unis sont inexistants, qu'ils ont un poids politique et stratégique négligeable (c'est un peu la faute à Jacobs, je l'admets, mais quand même pas totalement). Qu'ils n'ont pas une majorité de membres au sein du SHAPE, situé à Mons, en Belgique...
L'ONU est court-circuitée, mais néanmoins une fonctionnaire du "Machin" se croit mandatée pour commander un membre du MI5.
Et le MI5 et les militaires britanniques sont investis des pleins pouvoirs pour régler militairement un problème.
Sans parler de la Belgique qui a perdu toute souveraineté et n'a pas son mot à dire.
Là aussi, du n'importe nawak.