"Se poser en victime". Toujours les grands mots, hein?
On essaie de comprendre ce que vous lisez et pourquoi vous aimez. C'est être des victimes, ça?
Salut Vanyel
Je lis tes interventions depuis quelques pages et je me dis: mais pourquoi vouloir comprendre à tout prix
Est-ce que ça en vaut la peine ? Je veux dire, est-ce que tu iras mieux en appréciant Blain ou Winshluss ? Je crois qu'il faut se refuser à tout vouloir comprendre, et accepter qu'il y ait des choses qui nous laissent tout à fait indiférent alors qu'elles sucitent l'intérêt d'autres personnes. Moi je suis hermétique à l'Héroïc Fantasy, ça ne m'attire pas et je ne cherche pas trop à sortir de cet état, ce qui ne veut pas dire que j'ai du mépris pour ce genre ni pour ceux qui l'apprécient.
Pour comprendre quelque chose, il faut qu'il existe un état d'esprit général qui te pousse à la découverte, à la surprise. Quelque part une prise de risque. Le fait qu'on puisse ne pas aimer ... mais aussi être emballé. Ceux qui ne lisent que des bds dont ils sont sûrs qu'elles vont leurs plairent, parce qu'il ne veulent pas sortir d'un terrain qu'ils ont balisé ne peuvent pas aimer la bd "indé". Dans ce cas on ronronne et on moutonne
mais après tout si on trouve ça bien ?
Parce que je me dis que ce n'est pas une explication de texte ou un commentaire d'image détaillé qui va changer les choses: à chaque album, ou pour chaque auteur il faudrait recommencer
Aimer être surpris, se laisser embarquer dans des univers personnels qui ne sont pas les nôtres est je crois à l'origine du goût de certains pour la bd dites "indé". Cette surprise peut se trouver a priori partout (dans les classiques franco-belges, ...) mais elle existe davantage dans ce fourre-tout qu'on appelle underground parce qu'il n'y a pas de règles à respecter (contrairement aux oeuvres de "genre" ou le public attend surtout d'y trouver des codes précis qui le satisferont plutôt que l'univers d'un auteur). Contrairement à ce que tu sembles croire (je prends des pincettes exprès, tu corrigeras si je me trompe
) l'underground n'est pas un genre, ce n'est pas un style de dessin, ce n'est pas une "école". J'ai parfois l'impression que l'underground c'est un nom que donne les gens qui aiment tout ranger dans des petites boites à ce qui ne rentre nulle part ailleurs :siffle:
J'aime bien la distinction de Vacom (peut-être sur un autre sujet, là je suis perdu
) entre le beau dessin et le dessin "qui a de la gueule".
Si l'on compare De Vita (le dessinateur de James Healer) avec Winshluss, le premier regard va nous dire que l'un dessin bien et l'autre mal. L'un propose un dessin réaliste et appliqué, l'autre montre un dessin tout en gribouillis mal torché. Pourtant, ce qui fait l'intérêt et à mon avis la grande supériorité de Winshluss sur De Vita, c'est "l'inspiration" et la maîtrise de la narration (qui n'a pas grand chose à voir avec le dessin pur). Quand je feuillette James Healer j'ai envie de bailler, ça m'ennuie, c'est mou, banal, stéréotypé. Alors que Smart Monkey se dévore, en lisant les pages on sent une certaine jouissance liée à la vivacité de l'action, à la mise en page, dans la succession des gags, bref à l'invention. Je vais essayer quand même un exemple "pédagogique", pour montrer ce qui me plait dans ce bouquin:
Première case: on voit Smart Monkey sur une branche, en contre-bas il y a un tigre féroce qui le menace.
Case 2, gros plan sur Smart Monkey qui regarde en bas, à côté de lui, un essain d'abeilles.
Case 3: identique sauf que le regard du singe se tourne vers l'essain.
Case 4 on voit l'essain en train de tomber sur le tigre qui ne comprend pas ce qui arrive.
Case 5: le tigre couvert d'abeille s'enfuit en courant.
Ca c'est du grand art, l'art de la bd à l'état pur. Ca ça me plait, et ça on ne le trouve pas dans De Vita. Ni dans la plupart des bds dites mainstream. William Vance dessine très bien les hélicoptères ou les montagnes enneigées mais il ne sait pas animer un visage d'une expression, ni provoquer la sensation de vitesse, ou bien le drame d'une situation. Ca c'est le fait des plus grands, qu'ils s'appellent Hergé, Franquin, Schulz ou Crumb. Après quelle importance que ce soit "classique" "indé" ?
Voilà, c'est un peu en vrac mais j'espère que ça répond un peu à tes questions