Alexander a écrit:Ponson du Terrail, Pierre Souvestre, Gaston Leroux, Eugène Sue, les Dumas, Jules Vernes, Maurice Leblanc, et puis tant qu’on y est Théophile Gautier, Emile Zola et Victor Hugo. Les belges ne sont pas en reste, Jean Ray, Steeman, Simenon, Henri Verne,…
C’est incroyablement mauvais.
Des trucs aussi nuls seraient impubliables aujourd’hui. Même pour l’époque, c’est fou qu’on ait laissé passer des trucs aussi mal torchés. Ces auteurs faisaient du grand n’importe quoi et répétait la même trame, bouquin après bouquin, toute honte bue. Toujours les mêmes gags tarte à la crème, les mêmes pseudo intrigues pour découvrir un méchant qui est connu dès les premières pages, les mêmes grossiers tours de passe-passe, les indices gros comme des camions, les filatures débiles, les pièges tendus à des malfaiteurs qui tombent à coup sûr dedans les yeux fermés, les faux méchants qui sont bons et les faux bons qui sont méchants, etc. On en a lu un, on les a tous lus.
Le truc le plus horripilant est cette manie de clôturer les bouquins de manière abrupte. Jusqu’au milieu de la toute dernière page, les héros sont en situation désespérée. Et les méchants sont arrêtés et tout est bien qui finit bien. Du vrai foutage de gueule. Complètement ridicule. La preuve que ces usurpateurs improvisaient leurs scénarios à la petite semaine sans savoir où ils allaient. Comment l’éditeur a-t-il pu tolérer des scénarios aussi indigents ?
Réponse possible : car l'éditeur s'enrichissait à vendre une "paralittérature" qui rencontrait un public qui en redemandait ?
Pour ne prendre que l'exemple de Henri Vernes et de Bob Morane : il commence à écrire les aventures de son héros en 1954, pour les éditions Marabout Junior, à un rythme de 4 à 6 aventures par an, il continue à les vendre jusqu'à la 142ème aventure en 1977 dans les éditions renouvelées de Marabout Pocket, (et il continuera d'écrire, avec un succès décroissant, il est vrai, pour d'autres éditeurs), il est vendu à plusieurs millions d'exemplaires, traduits dans une dizaine de langues différentes...
Et arrêtons de vilipender un genre qui obéissait à des codes littéraires tout à fait adéquats à rencontrer les désirs de découvertes, de dépaysement, d'exotisme, de vulgarisation scientifique de la part d'un lectorat jeune, scout, aventurier, et heureux d'émerveiller leur sens à une époque où on avait une idée, une invention révolutionnaire chaque jour de l'année.
Opposer la "belle littérature" bourgeoise à la vilaine paralittérature du peuple d'en-bas n'est pas seulement méprisant, c'est également une preuve de méconnaissance d'un univers de codes différents, un peu comme un amateur de BD FB mépriserait les amateurs de Manga.
Et l'un de ces codes qui lui confère paradoxalement ses lettres de noblesses, c'est la répétition : ces codes qui produisent la redondance ne sont pas nécessairement vécus comme coercitifs par le lecteur. Ils laissent des portes s'entrouvrir devant celui-ci. L'exploration systématique de l'espace, puis du temps par les héros de Vernes autorise l'imaginaire à se déployer jusqu'au fantastique. Et cela en dépit, et peut-être à cause de la redondance : poussée à son extrémité, celle-ci devient ludique et donne à celui qui pourrait en être la victime les moyens de se déprendre d'elle.
Certes, ce n'est ni signe de réalisme ni souci de transparence que de réutiliser la même métaphore d'un livre à l'autre ("les yeux d'ambre de l'Ombre Jaune, au pouvoir hypnotique", par exemple), de montrer - comme dans ces séquences de film où l'obsession se traduit par la réitération compulsive du même fragment d'action - le héros reprenant dix fois, en un violent mouvement de balancier, le même mouvement de jiu-jitsu au nom imprononçable, de le voir presser pour la dixième fois la carotide d'un méchant, etc.
Non : ainsi qu'Umberto Eco l'a montré à propos de James Bond, ces reprises et ces concaténations sont plutôt une manière d'attirer l'attention du lecteur sur le processus de fabrication du texte.
La répétitivité des schémas narratifs se fait jeu, comme elle l'est dans les polars de Carter Brown. C'est dès lors le code qui est mis en scène, plus que les réalisations qu'il permet. Chez Henri Vernes, comme chez Barthes, l'écriture s'avance en désignant son masque du doigt.
Je pense quant à moi, que bon nombre de séries BD de l'époque, singulièrement sans doute de la "ligne claire", et dont fait partie la Patrouille des Castors, procédèrent de cette même logique narrative (naïve et désuète de nos jours, certes) et que cette production a dû faire rêver pas mal de vieux adultes contemporains, qui assumeront (ou non) une certaine nostalgie à refeuilleter ces proustiennes madeleines.