N'ayant pas lu l'album, je ne peux me prononcer sur l'article de Libé, sinon dire que je le trouve argumenté. Il porte sur le contenu et le fond, là où le premier billet d'humeur traitait seulement du marketing et de la promotion démesurés, du contexte dans lequel l'album se trouvait proposé à la vente.
Je voudrais juste souligner que ce qui peut paraître ici excessivement sévère aux yeux de ceux qui ont apprécié l'album de Ferri et Conrad
(et dont je respecte le point de vue, Gill, BDbilos et d'autres ), n'est pas nouveau, mais que cette liberté de ton et de parole semblait révolue dans les médias depuis deux bonnes décennies, si ce n'est davantage.
Dans les années 70, du temps où la série était encore entre les mains de Goscinny et d'Uderzo, et dans les années 80, les critiques n'y allaient pourtant pas de main morte.
Il était par ailleurs assez rare qu'un consensus élogieux se dégageât. La société était habituée à la contradiction, aux clivages et aux vives tensions (la Guerre froide n'était pas encore un souvenir). Aussi, une critique de
l'Huma pouvait, par exemple, coïncider avec une autre du
Point ou de
l'Express (qui n'étaient pas du même bord politiquement) mais être en totale opposition avec un billet paru dans
Le Figaro,
Le Monde,
Le Canard Enchaîné ou encore dans une feuille sous influence trotskiste. Pour rester dans la presse généraliste.
Quant à la presse spécialisée, elle n'était pas en reste de vacheries. Pour ce qui était de rentrer dans le chou, ça y allait allègrement, que ce fussent les revues de BD (de
Charlie Mensuel à
Métal Hurlant en passant par
Hara-Kiri,
L'Echo des Savanes ou
Circus, etc...) ou les revues d'analyse et de réflexion critique sur le médium (
Schtroumpf,
Schtroumpfanzine, etc...). Filippini n'avait pas mis de l'eau dans son vin comme dans les petites chroniques du site BDZoom
(dont l'objectif, comme pour ActuaBD, semble avant tout consister dans la promotion de certaines nouveautés). Les plumes étaient parfois trempées dans l'encre rouge ou pire, dans le vitriol, en particulier avec les grandes séries populaires consacrées, dont les nouveautés étaient attendues au tournant. A un point tel qu'aujourd'hui, certains de ces jugements pourraient, avec le recul, paraître excessivement sévères voire injustes.
Les grands auteurs classiques oubliés des grands prix d'Angoulême en sont d'ailleurs le témoignage : Hergé, Goscinny, Uderzo, Jacobs, Pratt, etc..., tous aux abonnés absents. Sans parler des Américains, passés par le compte "Pertes et profits".
Pour Pratt, Morris et Uderzo, il aura fallu créer un prix spécial (une session de rattrapage) histoire d'effacer piteusement l'affront de ne jamais leur avoir décerné le Grand prix, après avoir couronné Mézières, Pellos, Lob, Pétillon, Lauzier et tant d'autres
(des auteurs que j'apprécie et estime, mais qui dans mon panthéon passent après les oubliés précités sur la plus haute marche du podium).