Olaf Le Bou a écrit:j'ai lu attentivement cette étude à sa parution, et si effectivement il est clair que la bande dessinée est avant tout une pratique culturelle que l'on abandonne massivement à l'adolescence (ce qui n'est sans doute pas étranger au préjugé assimilant le lectorat adulte à des ados attardés), les raisons m'en paraissent bien davantage liées à un manque d'intérêt qu'à un quelconque déficit de prestige, qu'à un sentiment dévalorisant que représenterait cette lecture.
Il est certes probable qu'un meilleur traitement serait propice à élargir le cercle des lecteurs, mais de là à générer de gros contingents de néo-bédéphiles par la seule grâce de la reconnaissance de cet art par les élites, j'ai comme un doute.
Manque d'intérêt, à rapprocher du manque de valorisation de l'ensemble de la production en bande dessinée, diverse et riche et variée, parce que l'on se limite encore et toujours à ne montrer que la part qui correspond à l'image tenace de la bande dessinée: divertissante, et vendant bien. La reconnaissance conditionne l'espace accordé au discours, et sans reconnaissance, ce discours valorisant (i.e., sans jeux de mots ou ton condescendant) est largement absent des médias, et donc ne peut aller convaincre tous ces lecteurs qui ont abandonné en route qu'il y a quelque chose dans la bande dessinée qui pourraient les intéressés, tout adultes qu'ils soient devenus.
Et au passage, pourquoi encore mentionner les "élites"? Je parle des médias, des institutions, pas des élites. Tu as beau t'en défendre, le fait de toujours revenir sur les "élites" (terme fourre-tout à ranger à côté des "jeunes" et des "internautes" dans le traitement des médias) établit implicitement une tension entre élites (supposément illégitimes) et lectorat qui serait plus authentique dans son rapport à la bande dessinée.
Olaf Le Bou a écrit:En résumé, je n'attaque pas le besoin de reconnaissance en tant que tel, je ne rejoue pas "gardarem lou pais" contre les bonnes âmes voulant sortir la BD de son ghetto, j'y vois bien l'intérêt culturel à moyen terme, je m'interroge seulement sur le choeur des pleureuses se lamentant du sort indigne réservé à cette lecture, comme s'ils se sentaient dénigrés, comme s'ils n'avaient pas assez foi en leur passion pour faire fi du jugement des ignorants.
Bon, ici, forcément, je me sens un peu concerné par le choeur des pleureuses. Et je peux t'assurer que ce qui me motive dans la défense de la bande dessinée, et dans les questions de reconnaissance ne se situe absolument pas dans un manque de foi en mon implication. Comme j'ai pu l'exposer longuement plus haut, la question de la reconnaissance de la bande dessinée dépasse largement ma petite personne. C'est au contraire un travail de longue haleine, qui demande de l'engagement et parfois de l'acharnement.
Mais c'est intéressant qu'à nouveau, on revienne sur cette idée de "foi en sa passion": on rejoint un peu les "auteurs chéris", bref, on se retrouve sur un plan affectif sur lequel certains n'aimeraient pas assez, ou ne seraient pas assez sûrs de leur amour. Ou la question de la reconnaissance, opposée à la question de la passion.