Tu a parfaitement le droit ne ne pas crier au chef-d'oeuvre Brian. ça ne fait pas de toi un rebelle !
Moi aussi, au delà de l'épilogue que j'ai trouvé inutile, j'ai trouvé la fin précipitée; notamment la dernière page, un peu trop forcée pour lancer le futur des aventures de Spirou et Fantasio.
Quant à Fantasio, même si je n'ai pas aimé le personnage dans l'album; c'est un peu fort de dire qu'il a déclenché la guerre; même dans l'album (dans le sens où les Allemands n'ont jamais eu la volonté de négocier avec la Pologne).
Malgré toutes ces remarques, cela reste pour moi le meilleur des OS (et oui, meilleur que Tarrin et Yann), et un album fort.
Voici ma critique longue et argumentée de l'album, postée initialement sur le forum Franquin:
Emile Bravo se pose dans cet album les questions des origines.
Pourquoi ce nom de Spirou ? Pourquoi un groom ? Pourquoi des aventures "légères" ? Pourquoi un symbole national (à l'égal de Tintin), connaissant les questions préalables ?
A mon tour, je me pose la question:
pourquoi "le journal d'un ingénu" est un excellent album (car c'en est un, le meilleur des one-shots sortis jusqu'à présent à mon sens), au delà du trait élégant qui fonctionne à merveille et du scénario astucieux et documenté de l'auteur.
Tout d'abord le choix de l'époque et de la démarche: ce que les Américains appellent un
prequel, qui peut paraître audacieux au départ mais qui finalement est sans doute plus aisé que de s'attaquer à une partie plus visible (celle de Franquin) du patrimoine Spirou.
Quand Franquin reprend 8 ans après sa création le personnage du groom, il ne va cesser d'essayer de
crédibiliser son univers (surtout à partir de 1950), déplorant souvent la fantaisie originelle de ses personnages. Il va finalement réussir indirectement dans son entreprise par la création de Gaston et de la rédaction Spirou.
Bravo se situe dans la même démarche de crédibilisation mais en s'attachant aux codes initiaux de la série.
Il réussit habilement le
syncrétisme du Spirou de Rob-Vel, de Jijé et des débuts de Franquin (40's), sauf selon moi le personnage de Fantasio, mais j'y reviendrai plus tard.
La grande force de Bravo dans cet album, c'est d'avoir
donner de la "consistance" à Spirou. C'est bien lui le héros ici, mais pas un Spirou "vide", avec son costume dans lequel chacun peut se glisser.
Franquin s'est toujours posé la question de l'animation de Spirou. En définitive, il n'a jamais su comment le "prendre" en main. Je le cite de mémoire : "D'accord, il est espiègle, il est vif... et après ?"
Dans l'album de Bravo, on voit un jeune adolescent évolué en quelques dizaine de pages, s'ouvrir au monde des adultes (amour, idéologie, politique, guerre, carriérisme...) et qui malgré tout doit faire des choix.
En fait, Spirou passe grâce à cet album du statut de symbole à celui d'humain.
Le deuxième point fort de l'album et qui va dans le sens de crédibilisation et de l'humanisation de Spirou, c'est
l'attention porté à l'arrière-plan historique.
Certes, la période est riche mais pas facile à traiter. Ici Bravo réussit à tisser un arrière-plan riche, au niveau idéologique, historique et aussi patriotique (finalement c'est quoi être Belge ?) [hors-propos: quand je pense que le Gall affirmait que Spirou était français, ça me fait bien rire], sans pour autant que cela vienne alourdir le déroulement de l'histoire.
Cette précision du contexte de l'époque permet aussi d'affirmer le double discours de l'intrigue: d'une part on y voit l'évolution du personnage de Bravo, d'autre part
l'auteur nous présente le "terreau" historique de la création de Spirou, de ce qui va devenir un héros et symbole national par l'entremise de l'expérience de ses "pères" (Rob-Vel, Jijé, Franquin mais aussi Doisy, les Dupuis et finalement même Tintin).
Car si Spirou est tel qu'on le connaît, c'est à cause d'eux mais aussi à cause de l'époque à laquelle ils ont vécu nous explique Bravo. J'y reviendrai plus précisément concernant Franquin.
Est-que Spirou peut tomber amoureux ? Oui répond l'album et de quelle manière! Premiers ébats et premières déceptions. C'est touchant sans tomber dans le pathos. Cet éveil aux sens (dans les 2 sens du terme) est l'atout principal de l'album.
Bravo sait faire, on le sent (il suffit de lire
Jules). Chaque apparition de la jeune fille est un plaisir pour Spirou et le lecteur. Et on remercie l'auteur de révéler au final le nom de la soubrette à Spirou et au lecteur.
Car c'est bien elle qui forme avec Spirou le tandem de l'aventure.
C'est le 3e point fort de l'album.
J'en viens au compère habituel, Fantasio, relégué ici à un second rôle. On assiste à leur rencontre dans l'album et on ne peut pas dire que les 1ers contacts ne soient très chauds. Je trouve que le personnage n'est pas satisfaisant. C'est la limite du syncrétisme (dont je parlais plus haut) que Bravo opère sur l'univers des 1ers auteurs. Car Fantasio, entre sa naissance dans les pages du journal écrites par Doisy, sa prise en main graphique par Jijé et sa "stabilisation" franquinienne évolue trop pour que ce syncrétisme soit un succès, d'où le résultat un peu bancal.
On a clairement affaire ici à un zazou fini (jamais autant poussé à l'extrême dans les bandes de Jijé) mais qui par ailleurs est déjà journaliste au Moustique.
En fait ce Fantasio ne m'est pas sympathique, et c'est dommage pour un de mes personnages préférés de la série.
Venons-en aux "hommages" et autres références. Tintin est bien sûr encré dans ce récit, il revient "sur la table" à de nombreuses reprises. Je ne trouve pas que ça gêne à la lecture même si je comprends ceux pour qui ça lassent.
Mais pouvait-on éviter Tintin, dans une bd qui parle de la jeunesse d'avant guerre, qui traite de la guerre, qui parle de la Belgique et de Bruxelles, et qui sous-tend la construction d'un symbole national de papier ? Bravo confirme que Tintin et Spirou sont indissociables, bien au-delà le fait d'être les héros-titres de journaux de bd.
L'autre référence, plus précise me concernant, c'est celle faite à Franquin. Bien sûr, il y a aussi des référence à Rob-Vel (Entresol) ou à Jijé mais
je perçois dans l'histoire et la démarche une référence plus forte à Franquin (déformation forumesque sans doute).
Outre les références factuelles (Fantasio travesti en vieille dame, von Zorglub), il y a un premier coup de coude avec la récupération (très judicieuse dans le contexte de guerre imminente) des ADS (Amis de Spirou). Créé par le communiste Doisy (tiens ?) qui bossait dans un journal catholique. Ads qui jouèrent leur rôle de résistance durant la guerre et qui furent porté à leur sommet bdesque lors de "Spirou sur le ring". Bravo réutilise P'tit Maurice et reproduit la caricature avec le petit José-Luis.
Franquin, finalement a fait comme Bravo, il a récupéré des personnages simples auquel il a dû donner de la consistance; il a cristallisé autour d'eux un univers qui se veut crédible et qui est devenu l'étalon de la série.
Bravo a repris cette démarche de Franquin, mais à rebours, en cristallisant ses personnages à partir des fondements de la série.
Enfin, je ne peux m'empêcher de faire
un parallèle entre Franquin et ce Spirou de Bravo. C'est ce dont je parlais plus haut, sur la démarche de Bravo, de présenter le "terreau" dans lequel ont vécu les pères du héros.
Franquin avait 15 ans en 1939 et je pense que le terme d'ingénu peut lui convenir parfaitement à cette époque. Comme Spirou dans l'album, et comme beaucoup de gens de sa génération, la guerre aura une incidence sur sa vie, sur sa vision des choses et sur son travail.
C'est en cela que le parallèle est troublant et c'est là que Bravo est très fort en parlant au 1er degré de la naissance d'un héros de papier et au second degré du sens que prendront les aventures de Spirou avec Franquin (mention explicite dans une dernière page assez maladroite malheureusement). "Pas de politique !" assène Spirou. Voilà la réponse à la question: Pourquoi des aventures légères ?
Sur ce point, je ne suis pas tout à fait d'accord avec Bravo, qui pourtant utilise souvent les 2 plans, et qui dans son analyse s'arrête bizarrement à la forme que prennent les histoires de Franquin. J'en parlerai dans un autre post (je crois que mon texte commence à être indigeste).
Si la dernière page est assez maladroite pour "lancer" ceux que seront les aventures de Spirou et Fantasio, l'épilogue l'est aussi.
En fait, je n'ai toujours pas compris son utilité. Pied de nez final de Bravo ? ça dénote complètement par rapport au récit, c'est sans doute ce qu'a voulu faire Bravo mais je ne trouve pas l'idée pertinente. A contrario, il aurait mieux fallu d'inclure en prologue l'histoire courte parue dans Spirou et supprimer cette fin.
Voilà bien la seule faiblesse (avec le personnage de Fantasio) de cet album exquis qui reste un tour de maître.