Une fois n'est pas coutume, critique d'un album avec plein de mots...
Après la discussion sera ouverte hein...
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Comment, après toutes ces critiques dithyrambiques, citant moult et moult fois le mot chef d'œuvre, oser critiquer, mettre à mal ce Spirou là.
Pas facile effectivement.
Pas facile de critiquer négativement un auteur qu'on adore. celui de Jules, excellente série, et celui dernièrement de "Ma maman est en Amérique, elle a rencontré Buffalo Bill".
Et pourtant. Et pourtant je suis déçu par ce Spirou.
Déçu par les partis pris, et surtout je doute. Je doute sur l'amour d'un auteur envers ce personnage.
Soyons clair, devant la masse des bds actuelles, cet album est une réussite à tous les niveaux. Dessin, mise en scène, caractérisation, tout y est, et pourtant.
Quel passéisme. Quel négation de l'histoire Spirou au travers de cet album!
Déjà l'affaire du rouquin sentait le roussi. Dans ses déclarations, Bravo parler du côté superficiel des aventures de Spirou, du fait que ce dernier ne s'impliquait pas politiquement parlant.
(
"Ce traumatisme va créer le héros que l’on connaît et va expliquer pourquoi il va se « perdre » dans l’aventure sans plus toucher au « politique » et sans plus jamais entamer une nouvelle liaison amoureuse.", entre autres, interview BDGEST).
Waouh. Pour les ayatollah de l'univers Spirou, entendre ainsi parler de notre héros sans peur, celui qui n'hésite pas à renverser la dictature de Zantafio, celle de Kodo, celui qui n'hésite jamais jamais face au danger, cela partait mal.
Mais pourquoi pas, nous sommes dans la collection des one-shots, cad des visions d'auteurs.
Idem pour l'autre marotte de l'auteur: les explications. Eh oui, cette manie, propre aux auteurs quadras de vouloir tout expliquer.
Pourquoi Spirou ? Pourquoi un groom ? Pourquoi être ami avec Fantasio ? Couchent-t-ils ensemble ? Se tape(n)-t-il(s) Seccotine.
Bon, il n'était pas le seul à se poser ces questions d'adultes. Pourquoi pas.
En résumé, avec Bravo, on était parti pour un Spirou d'un genre particulier, la réécriture du mythe Spirou par la seule vision d'un auteur.
Pourquoi pas, le talent de Bravo étant réel, allons-y gaiement.
Situé en pleine pré seconde guerre mondiale, cela prenait un sens particulier, intriguant. L'incertitude d'une époque, et ce fameux choix politique, tellement bien décrit par Aragon et Drieu La Rochelle: les extrêmes, droite ou gauche. L'époque où il fallait choisir.
Et le résultat, au début, est brillant. On y retrouve cet académisme qu'on ne voit plus, ces tonnes de textes improbables, sorties des années Blake et Mortimer, ce découpage quasi gaufrier, cette mise en scène ultra-classique. Le grand Bravo était là. Ce talent qui remet au goût du jour la vieille bd, celle d'Hergé, Jacobs, Celle qu'on croyait disparu.
On lit avec délectation toute la mise ne place de l'histoire, ces clins d'oeil à Franquin (Fantasio déguisé en vieille, le p'tit maurice, etc...), l'histoire prend forme, s'intensifie. L'intelligence de Bravo à nous dépeindre une époque, à présenter en tâche de fond tous les paradoxes et complexités d'une époque qui allaient engendre l'infamie. Bref, on se délecte, jusqu'à...
Jusqu'à quoi ? Rien. un dénouement grand guignolesque, ridicule, achevé en une page. Qq pages d'explications pour satisfaire le lambda moyen sur le futur du personnage. Et un épilogue on ne peut plus inutile. Pourquoi ?
Pourquoi n'être pas allé au bout de son idée ? Après avoir dénoncé la soi-disant superficialité des aventures de Spirou, pourquoi tomber dedans pour achever son histoire ?
Pour conforter son propos ? Pour assumer sa position, style "j'avais raison, vous le voyez, Spirou ne peut être sérieux".
Peut-être.
Bon, offrons une seconde chance, relisons le.
Et là l'album vous tombe des mains. Vous le relisez, et toutes les allusions à Tintin, qui paraissaient n'être là que pour justifier l'époque, prennent un autre relief.
L'amour de Bravo, ce sera à jamais et pour toujours Tintin. Tintin le héros, servi par Hergé le génie. Du sérieux, de l'académisme. Rien à voir avec la légèreté de Spirou.
Emile Bravo n'a jamais aimé Spirou. Ni son journal de curé, à l'époque, ni son héros.
Les amateurs de bds vous le diront, ceux qui vénèrent avec le même amour à la fois Franquin et Hergé sont rares. Voir très rares. On finit toujours par choisir son camp.
Émile Bravo l'a choisi depuis longtemps. C'est celui de Tintin.
J'aime beaucoup Émile Bravo, l'auteur. J'aime beaucoup Jules, et ses autres séries. Mais je n'aime pas son Spirou passéiste, tintin de seconde zone.
A l'instar de sa vision du personnage, ingénu face au choix cornélien (les faucilles contre les croix gammées) rappelée par la couverture , j'aurais aimé que Bravo ait la même attitude, celle de l'ingénu.
Il ne l'a pas fait, mon âme de lecteur, ayant depuis longtemps fait le choix Spirou contre Tintin, se sent flouée. Tant pis. J'irais relire les autres albums, avec des vrais morceaux de Spirou dedans.
(On évitera le parallèle avec la Russie qui fit d'abord alliance avec l'Allemagne avant de la trahir hein...
)