C'est ça qui me choque profondement : c'est cette démarche qui consiste à croire que la modernisation de la série passe necessairement par un ton plus adulte.
La série Spirou est, dans son essence même, dans sa conception, dans son univers, dans son ton, dans ses personnages et jusque dans son nom, une bande dessinée tout publics, de 7 à 77 ans, avec un esprit jeunesse. Lui retirer cet esprit est un non-sens total !
Je penche aussi un peu dans ce sens...
- SPIROU est avant tout un personnage d'éditeur, entièrement au service d'un magazine, quel qu'en soit son dessinateur ou son scénariste.
- Il a été conçu au départ pour ANIMER un journal, en être la caution morale, la mascotte et le représentant auprès des lecteurs : le rédacteur en chef du magazine est sensé l'utiliser pour s'exprimer auprès du lectorat
- C'est un groom. Pourquoi ? Parce c'est un métier qui "accueille" le public, qui le met à l'aise et lui indique le chemin. Son costume très particulier en fait donc une "icône" amusante facile à repérer.
- Il vit des aventures hebdomadaires, à suivre, sans véritable importance. Ce n'est pas sensé être un chef d'oeuvre, mais juste un lien PERMANENT et distraillant qui tient le lecteur en haleine, semaines après semaines... Spirou, c'est une sorte de "Bibi Fricotin" : les rebondissement s'enchaînant sans fin autour d'une histoire prétexte. Tout ce qu'on lui demande, c'est d'être là, de vivre des aventures et d'assurer une permanence éternelle dans ce journal qui porte son nom.
- Il se trouve qu'au cours de son histoire, le personnage a été détourné de son objectif de départ : trop sérieux, en une époque où les jeunes n'apprécient plus les "héros sains et incorruptibles", il a perdu le lien avec ses lecteurs et a parfois été remplacé par Gaston (courrier des lecteurs).
- De même ses histoires ont été reprises par des génies qui ont tellement bien fait leur travail (tous des perfectionnistes) que le héros-alibi s'est retrouvé placé dans un Panthéon qui l'éloignait encore plus de sa vocation première.
- Résultat ? On se retrouve avec un magazine privé de son âme avec un Spirou SANS Spirou pendant des mois entiers, voire des années ! "Petit Spirou" a certes pris le relais pendant un temps (voire : ces derniers temps, on ne le voit plus beaucoup !), mais on avait là un esprit nouveau qui privilégiait les gags aux véritables aventures. Ce Spirou là n'était donc pas un remplaçant temporaire, mais le signe évident d'un changement d'époque : fini le "à suivre", vive le gag-zapping !
- Le grand Spirou s'est donc retrouvé instrumentalisé à nouveau mais avec une approche différente, plus élitiste, plus orientée "albums" : on joue avec la poupée, on la tort dans tous les sens, on la déguise, et on lui fait vivre des lubies d'auteurs (qui en oublient donc le lien avec les lecteurs puisque l'objectif n'est que de montrer leurs capacités de fractures, de renouvellement, leur dextérité scénaristique et graphique).
- Alors il a fallu inventer un nouveau lien avec les lecteurs : un "boss" égocentrique bien trop réaliste et donc bien moins complice, une "équipe de joyeux lurons" qui s'amusent tous seuls dans leur rédaction avec quelques auteurs... Finie la "marionnette-BD-symbole-du-journal", elle est devenue un personnage multi-format impersonnel vendue à grands coups de marketing.
- Et quelque part, c'est Tome qui en est la cause. Le journal PILOTE a grandi avec ses lecteurs... avant de les perdre tout à fait. Spirou prenait le même chemin, mais tout seul ! Sans aucune volonté éditoriale globale ! ça ne pouvait pas marcher... (même si c'était sympa
).
- Mon souhait à moi (illusoire) serait qu'on replace Spirou à sa vocation première : 2 ou 3 pages à suivre systématiques dans le journal (quitte à multiplier les dessinateurs) et un personnage qui PARLE aux lecteurs, qui leur raconte la vie de la rédaction "les yeux dans les yeux", qui joue avec les lecteurs, se mette sur la couverture, interpelle d'autres personnages comme il le faisait avec Gaston, nous propose de nous abonner, se régale à l'avance des futures BD à venir, lance des jeux originaux, réponde au courrier des lecteurs, demande quelle rediffusion on préfère et s'y prête volontiers. Il pourrait se faire assister, bien sûr, par un Fantasio marrant, un Gaston impayable, voire une Sécottine féministe ou un autre personnage typique du journal... mais il devrait retrouver ce "style" qui faisait de Spirou-Mag le "copain complice du mercredi".