de alexlebarde » 28/11/2008 00:03
Bon, je me lance.
Pour ma part, je n'avais aucun a priori contre cet album ; au contraire, je l'attendais avec une grande impatience, car le peu que j'avais entendu du scénario et de la démarche me mettant l'eau à la bouche, et car j'avais jusqu'ici un avis plutôt positif de la reprise par Morvan/Munuera.
Plus précisément :
* j'avais trouvé 'Paris-sous-Seine' plutôt honnête pour un album de prise en main des personnages. Tout ne m'avait pas plu, mais au moins avait-il les qualités d'être un nouvel album de Spirou (je n'y croyais plus !), de refermer la sinistre parenthèse 'Machine qui rêve', en de réintroduire un peu d'aventure et de légèreté (pas assez à mon gout pour ce dernier élément, mais c'était un début)
* 'L'homme qui ne voulait pas mourir' m'a plu, c'est pour moi le meilleur album de Spirou depuis 'La vallée des bannis', one-shots compris. Le grand retour de l'aventure exotique, et une dose de fantastique qui ne gâchait rien.
* 'Spirou à Tokyo' m'avait déçu, malgré quelques bonnes idées (le retour tant attendu d'Itoh Kata, avec sa bande de magiciens, un côté poétique autour des deux enfants,...)
Passons à "Aux sources du Z"...
J'ai profondément détesté l'album, sans doute plus que 'Machine qui rêve' (que j'ai pourtant en horreur). Il m'a énervé presque dès le début, c'est monté en crescendo avec l'espoir diffus que la fin rattraperait tout... alors que le pire était à venir.
Ce que j'ai malgré tout bien aimé :
[spoiler]* l'exercice de style consistant à représenter les contextes passés par une imitation du graphisme de l'album évoqué. Ainsi, on reconnait à travers les divers Spirou rencontrés dans le passé les differents styles graphiques de Franquin, en une sorte d'évolution à rebours (puisqu'on va dans le passé). Seccotine, dans la planche 27, est particulièrement révélatrice.
* les gendarmes m'ont bien fait rire
* la turbotraction a la classe, et j'ai bien aimé le retour du G.A.G ; le combat Zorglub/Champignac était intéressant.[/spoiler]
Passons maintenant aux détails que je n'ai pas aimé, attention mode chipotage et mauvaise foi on :
[spoiler]* Le personnage de Zorglub est, je trouve, mal géré. D'abord parce que pas assez exploité, surtout pour une histoire dont le titre comporte le Z symbolique ; ensuite pour tout un tas de choses.
L'ayant quitté guéri de sa mégalomanie pathologique (du moins au stade de vouloir créer une armée de Zorglhommes) et ami de Champignac, Spirou et Fantasio n'avaient aucune raison de lui être hostile lorsqu'il essaie de les contacter.
Il s'était dernièrement montré plutôt cordial avec eux lors de leur dernière rencontre... pas au point de s'intéresser à tous les détails de la vie de Spirou comme par exemple le fait qu'il se soit battu contre un dénommé Poildur (qu'est-ce qu'il en a à faire, sans parler de retenir la date exacte de l'évènement !). Et il n'en était plus à appeler Fantasio F00.
De plus, le trio me pose problème : l'évocation de son passé par Champignac, dans 'Z comme Zorglub' et leur relation dans l'album est loin de faire penser à de vieux amis intimes.
Enfin, il semble brillant dans l'album (au niveau de Flanner et Champignac) alors que sa seule réelle trouvaille scientifique est la zorglonde, de son aveu même.
* LE voyage temporel par le trio me semble complètement incohérent vis-à-vis de son invention dans 'L'horloger de la comète' par Aurélien "Mathusalem" de Champignac... et qu'en est-il des agents de la Commission Temporelle de Contrôle, dont le boulot devrait être de veiller à ce que le micmac de la fin n'arrive pas (et qui, soit dit en passant, seraient utiles à un scénariste qui voudrait revenir en arrière dans l'album suivant sans considérer que le tome 50 est en fait un rêve bizarre de Spirou)
* Je n'ai d'une manière générale pas aimé les dialogues. Spirou qui a peur de disparaître du continuum espace-temps... et donc de ne pas pouvoir sauver Miss Flanner (sinon, pour le reste, il peut ne plus exister, c'est pas grave... il pousse quand même le dévouement à l'extrème), le Fantasio des années 50 qui se trouve "sexy" (!), plus les "belgismes" et quelques dialogues lourdingues ("le recteur et ses hommes se..." ; les ampoules de Fantasio ; et, la phrase qui m'a vraiment agacé, "son sabre ne serait pas de bois")
Outre ces quelques exemples, j'ai trouvé que dans l'ensemble, les dialogues ne collaient pas dans la bouche des personnages, que quelque chose clochait. Ca m'avais déjà gêné dans les albums précédents, mais à un degré moindre.[/spoiler]
Bon, ce qui précède, c'est quelques détails, du pinaillage, mais j'en viens maintenant aux gros problèmes de l'album à mes yeux :
[spoiler]* un passage m'a vraiment mis mal à l'aise : la rencontre de Spirou avec son homologue du 'Dictateur et le champignon', et le violent coup sur un non moins violent "Silence, misérable dévoyé !" Quel est le sens de ce geste qui est tout sauf anodin ? C'est, comme il dit, tout ce qu'il a trouvé alors qu'il sait que si son homologue du passé est dans l'armée de Zantafio, ce n'est que pour l'empêcher de nuire ? (c'est quand même extrême !) Ou bien le Spirou du passé avait-il vraiment l'intention de servir Zantafio, et celui du présent l'a remis dans le droit chemin ? Drôle d'hommage au passé de Spirou... Plutôt que de rendre hommage, j'ai l'impression qu'il s'agit là de salir le passé de la série, comme pour rendre sa destruction définitive à la fin de l'album plus acceptable.
Là, je pousse le bouchon trop loin, et je suis d'accord que ce n'est pas le cas, le côté hommage ne laissant aucun doute dans le reste de l'album. Mais c'est comme ça que je l'ai ressenti, et ce passage me semble néanmoins révélateur de quelque chose : le manque de fun. L'histoire se prend trop au sérieux, comme l'atteste par exemple la fin "tordue".
Ce manque de fun se retrouve aussi dans la manie de vouloir toujours expliquer et "psychologiser" les personnages à outrance. En particulier, pourquoi vouloir à tout prix sexuer les héros, en général de manière pas subtile ? (même si la scène entre Seccotine et Spirou est assez mignonne et bien plus subtile que celle du "Tombeau des Champignac")
Spirou, pour moi, a besoin de simplicité (pas de simplisme), de légèreté, de cette touche assez indéfinissable qui fait que quand on lit l'album, on s'amuse et on réfléchit sans en avoir l'air. 'Le prisonnier du Bouddha' est fun tout en dénonçant la guerre ; 'L'Ankou' est fun tout en délivrant un message écologiste ; 'Spirou à New York' est fun tout en parlant de la mafia ; et même 'L'homme qui ne voulait pas mourir' est fun tout en prenant la défense des indiens. 'Aux sources du Z' m'a pris la tête et ne m'a pas du tout amusé.
* La gestion du temps et de la vieillesse. La série, et beaucoup d'autres, est incohérente de ce point de vue, car chaque album se passe maintenant ; les personnages ne vieillissent pas, c'est le maintenant qui se met à jour. Spirou est à peine plus vieux que dans "Il y a un sorcier à Champignac", où l'on voit l'un des premiers feux rouges. C'est pas grave, ça passe... tant qu'on ne met pas le doigt dessus. Là, on met en évidence une cascade d'incohérences, ce qui rend l'ensemble pas crédible. Le problème se posait déjà dans le one-shot de Bravo.
Ainsi : le jour du match contre Poildur (et de l'accident de miss Flanner), Zorglub et Champignac ont le même âge apparent (ou presque) que Spirou et Fantasio. Après, S&F gardent le même âge (mais ils changent de graphisme...), tandis que Zorglub et Champignac vieillissent normalement. Et encore, normalement, c'est vite dit : S&F rencontrent Champignac peu de temps après le jour du match (c'est l'album suivant !), et il est déjà aussi vieux que maintenant...
Chez DC, ils n'ont rien trouvé de plus simple pour résoudre le problème que la Crise des Terres Infinies... et là, la fin s'apparente pour moi à une sorte de "Crise des Spirou Infinis". Là où ça passe pour l'univers DC (je suppose, je n'ai pas lu l'histoire en question), et où c'est un trait de génie pour Valérian (je fais bien sûr référence aux brillants "Spectres d'Inverloch" et "Foudres d'Hypsis", mais de telles considérations sont pile-poil dans le thème de la série), dans Spirou ça tombe à plat. Pour moi, Spirou ne méritait pas ça, et on est loin du fun et de la simplicité auxquels j'aspire.
* Et, justement, cette fin... Vous savez, toutes ces histoires que vous avez aimées... Ben en fait, elles ne sont pas arrivées. Tous ces personnages que vous avez aimés... Spirou et Fantasio ne les connaissent plus.
D'après BoDoï, il faut être un conservateur obtus pour ne pas aimer ça. Bon, ok, peut être. Mais moi, ça me fais mal au coeur.
On en revient au même problème que pour "Machine qui rêve" : quel est l'intérêt de faire une reprise de série ?
Pour moi, le défi, c'est de s'amuser avec un univers déjà constitué (et quel univers ! celui de Spirou est d'une richesse incroyable, de par sa longévité et la variété des auteurs qui se sont succedés), et de lui apporter sa touche et de l'enrichir tout en le respectant. Si c'est pour faire table rase de cet univers, ça n'a strictement aucun intérêt. Et c'est encore plus pénible, pour ceux qui aiment cet univers et lisent la série justement pour s'y retrouver, de voir sa disparition officialisée (comme c'est le cas ici), que de simplement pas s'y retrouver du tout (MQR) ; au moins, là, on a l'espoir de le voir revenir un jour (comme j'ai cru que c'était le cas en lisant "Paris sous Seine")
Au passage, ça me semble bizarre, pour moderniser la série, de remplacer le Spirou familier et somme toute moderne par son équivalent jeunôt sorti tout droit des années 40.
Après, JD, tu dis que la fin est ouverte et que le repreneur pourra toujours revenir en arrière (bon courage pour réussir ce tour de force, au passage). Mais la fin n'encourage pas à aller dans cette optique, car revenir en arrière signifie effacer ce futur de Spirou, et empecher son amour et son bonheur. On sera content de retrouver l'univers familier, mais il restera tout de même un malaise quoi qu'il arrive.[/spoiler]
Bon, voilà, j'ai essayé de dire ce que j'en pensais, en essayant d'être pas trop lourd (là, c'est vraiment pas gagné), ni trop irrespectueux du travail des auteurs, malgré ma totale désapprobation concernant l'album.
"Vous ne vous êtes pas demandé si le Temps n'était pas tout bonnement l'Espace qui aurait pivoté de quatre-vingt-dix degrés ?" (L'Econome de l'Université de l'Invisible d'Ankh-Morpork)