Voilà bien l'énorme erreur, croire que la bande dessinée n'est pas un secteur du livre, la mettre à part, la ghettoïser, croire qu'elle ne se lit pas. Personnellement je lis une bande dessinée je ne la mange pas(ça c'est pour ton histoire d'agro-alimentaire), donc je trouve que c'est tout à fait comparable éditorialement à un roman.
Ok, bon je vais arrêter de teinter mes messages d'humour alors, et parler sérieusement.
Déjà je n'ai jamais dit que la bd ne se lisait pas. Elle fait évidemment partie du secteur du livre (ce sont des pages qu'on tourne), mais par contre c'est vrai qu'elle reste bien à part. Ce n'est pas un problème de la ghéthoiser comme ça, c'est juste une vérité, d'ailleurs beaucoup de lecteurs de romans ne lisent pratiquement pas de bd, et l'inverse est aussi vrai. L'aborder comme un roman, elle serait là l'énorme erreur.
Au niveau de la productivité (travailler plus pour éditer plus) : alors qu'un écrivain peut écrire plusieurs pages de son roman, voire plusieurs chapitres par jour, les auteurs de bd ne peuvent en général pas produire plus d'une page par jour (et encore, selon le style, c'est beaucoup). Donc à ce rythme, c'est normal que les histoires s'étalent dans le temps, et c'est au lectorat de l'assimiler car il n'a pas d'autres choix. Le risque que la série soit arrêtée en cours est aussi possible pour les romans : exemple des Princes d'Ambre de Zelazny, l'auteur étant décedé avant d'en avoir écrit la fin, et il fait pourtant partie des références.
Au niveau des moyens : le roman nécessite un traitement de texte et à la rigueur quelques essais brouillons qui partiront à la poubelle. La bd nécessite d'abord un scénario et une narration (au même titre que le roman, et ce sont les seules comparables), mais aussi une mise en scène cinématographique, un découpage, des crayonnés, des essais, des encrages, des retouches, et de la couleur. L'approche et n'est pas du tout la même, et je suis certain qu'au fond de toi, tu le comprends très bien, en tant qu'amateur de bd.
Au niveau des attentes des lecteurs : le marché de la bd a énormément évolué sur ces 20 dernières années, si tu le compares à celui du roman. Mais c'est le lecteur, aussi, qui est devenu plus exigeant, plus pointu. Si on se contentait d'un Astérix tous les ans dans les années 80, on aime aujourd'hui découvrir d'autres choses plus artistiques. Certaines planches originales en couleurs directes sont même carrément, à nos yeux, des oeuvres d'art. Et c'est tant mieux ! C'est ça la bd, et c'est cette approche artistique qui la "ghéthoise" par rapport aux romans, pour lesquels les attentes des lecteurs n'ont pas franchement évolué ces 20 dernières années.
Pour en revenir à Cecil : oui il est pointilliste, oui il est lent, oui prend son temps. Et alors ? C'est sa façon de bosser, ça le regarde, et là encore c'est tant mieux ! S'il s'en sort financièrement avec ce rythme, c'est super. Beaucoup de dessinateurs n'y arrivent pas, et ils en viennent souvent à changer leur style pour être plus rapides (et donc plus productifs).
Franchement je suis bien plus heureux quand une bd de ce style arrive dans les bacs tous les deux ou trois ans, plutot que de me taper dans ce même laps de temps 5 tomes de Kookaburra Universe, ou d'autres bd dont les couleurs sont reprises par un coloriste lambda par soucis de productivité. Cecil, comme quelques dessinateurs du même accabi, a cette compétence qui lui est propre, d'être apprécié pour son pointillisme. Il fait encore partie des rares à pouvoir dire merde à son éditeur, c'est moi qui vais faire les couleurs de mon album, et pas quelqu'un d'autre, parce que j'y tiens trop. Je le sens tout à fait capable de commencer et de finir une série, tout du moins un tryptique. Heureusement qu'il existe encore des artistes et des talents dans la bd, même si leur parution est plus longue à venir, on peut attendre.
Bref voilà, pardon pour le roman, un peu hors sujet mais c'était pour rebondir à ta comparaison roman / bd. Tout ça pour dire qu'aujourd'hui, avec à peu près 1500 bd dans ma zoulie bibliothèque, j'aurais plutot tendance à faire confiance à un duo Cecil / Brunschwig qu'à un duo Uderzo / Studio Asterix pour présenter un nouveau projet de série, et je suis certain que les vrais amateurs de belles bd pensent comme moi.