A propos de phantasme... (et la question, bien qu'inversée, pourrait s'adresser à l'ami Gihef aussi.. lui qui se mêle de tout
)
Un dessinateur pour qui tu rêves d'écrire un scénar ?
Question n°2: A quel point le scénario que tu remets à "tes" dessinateurs sont ils détaillés, ou en d'autre termes quelle "marge de manoeuvre" leur laisses tu ?
Waouf ! Phantasme/fantasme : Un dessinateur pour lequel j'aimerai écrire une histoire. C'est difficile de répondre, parce que je me sens plutôt comblé par mes collaborations actuelles : Laurent Hirn, Etienne Le Roux, Olivier Neuray, Cécil, Freddy Martin... ce sont des gens très différents, humainement très riches, d'une grande noblesse et artistiquement bougrement talentueux.
Je répondrais en vrac : Benjamin Flao (un graphisme qui gratte au coeur de la vérité des choses), Jérôme Jouvray (sans doute le meilleur "mime" depuis Franquin), Ralph Meyer (parce qu'on en parle tous les deux depuis tellement longtemps sans que ça se fasse)... il y en a d'autres, oui... mais arrêtons nous déjà à ces trois là.
Sinon, en ce qui concerne mes scénarios... oui, ils sont super détaillés. Quelqu'un m'a dit que c'était les plus détaillés qu'il ait vu, juste derrière ceux d'Alan Moore (sans que je cherche à m'aligner sur lui, c'est comme ça, c'est tout).
On pourrait croire que je dis tout dans mon découpage et que c'est donc facile à mettre en scène, mais c'est tout l'inverse. Cécil m'a dit que c'était tellement précis que ça en devenait super dur à mettre en oeuvre, parce qu'à aucun moment il ne faut se râter (Cécil est prof de narration dans une école de Bordeaux et il a donné une de mes séquences à ses élèves pour voir ce qu'ils allaient en faire : il n'y en a pas un qui ait réussi quelque chose d'abouti. pour que vous compreniez, je vous glisse une page de scénar en contre bas de ma réponse)... je pense que ce sont des découpages qui s'adressent avant tout à de grands metteurs en scène et surtout, à des gens qui ont envie de réaliser un travail en profondeur sur le jeu d'acteur, l'émotion des personnages... Car ce sont essentiellement des états d'âme, des psychologies, des intensités relationnelles que je mets en scène.
Je vous glisse ici la première page découpée du second tome de HOLMES.
Page 1
Case 1 : Plan sur l’arrière d’un corset en train de se faire nouer avec force autour d’une taille très fine. Le corset est quasiment entièrement noué. Tout le symbole de la femme prisonnière de ses carcans sociaux, réduite à un objet de séduction, discrète et devant s’occuper de son foyer et du bonheur de son mari.
Emilie : Ho Mary…
Emilie : Chère Mary…
Emilie : Sois donc brave…
Case 2 : Plan sur la jeune femme, Emilie, 20 ans, fille aînée de Sir Edward Sherrinford, alors que derrière elle, la gouvernante et nounou qui partage leur vie depuis sa naissance, la vieille mais toujours énergique Mary, finit de nouer le corset. Emilie est une très belle jeune femme de son époque, une espèce de bonbon toute de douceur, sans aspérité, gracieuse et aimable. Elle tourne très légèrement la tête vers la vieille Mary, qui reçoit avec une moue circonspecte sa demande (en fait, Mary sait des choses qu’elle n’est pas sensée dévoiler à Emilie pour ne pas l’effrayer).
Emilie : Dis nous ce que tu sais de ce monsieur Siger Holmes ?
Mary : Et pour quoi faire, miss Emilie ?… vous l’allez rencontrer dans quelques heures à peine…
Case 3 : Nous sommes dans la chambre d’Emilie, dans une vieux manoir de la campagne anglaise. A travers les carreaux, une douce lumière de printemps filtre, donnant de la douceur à cette scène charmante.
Au premier plan : devant la coiffeuse de la chambre, Ambre (18 ans), la seconde fille de Sir Sherrinford est assise en corset, elle aussi (elle n’a pas encore passée sa robe), se laissant coiffer les cheveux par sa plus jeune sœur, Elisabeth (14 ans)… Elisabeth est entièrement habillée et coiffée. Les trois sœurs se ressemblent physiquement, toutes en rondeurs agréables, de jolies poupées victoriennes, sages et gracieuses. Elles ne sont pas maquillées. Ca ne se faisait pas à l’époque sauf pour les prostituées. Elles sont toutes excitées à l’idée de rencontrer Siger Holmes, car elles savent qu’il souhaite prendre femme. Ambre, exaltée, tente de convaincre Mary de parler, alors qu’Elisabeth continue de la coiffer avec application.
Au second plan : Mary continue de corseter Emilie.
Mary : Mieux vaut que vous vous fassiez votre opinion par vous même.
Ambre : Ho ! S’il te plait, Mary… Au petit-déjeuner, père a laissé entendre qu’il était jadis venu nous rendre visite à Dorval…
Case 4 : Plan sur Ambre et Elisabeth, qui dans un même élan se tournent vers Mary, pleine d’une troublante excitation de jeune fille avide de rencontrer un homme, peut-être leur futur beau-frère.
Ambre : As-tu gardé quelques souvenirs de lui ?
Elisabeth : Est… est-il bel homme ?
Page 1 (suite)
Case 5 : Caméra subjective. Plan d’ensemble de la chambre. Nous voyons les deux groupes, celui de Mary et Emilie et celui de Ambre et Elisabeth, depuis le regard de Violet (la future madame Siger Holmes, qui se trouve devant la porte ouverte de la chambre, avec une vue panoramique sur la pièce). Ce petit théâtre futile, s’anime sous ses yeux, avec sa veine excitation. Les trois filles Sherrinford sont tournées vers Mary qui s’est placée entre elles, levant les mains pour les calmer, sentant que toute cette excitation n’est pas à son avantage.
Mary : Mesdemoiselles ! Mesdemoiselles ! Du calme, je vous en prie !
Mary : C’était il y a fort longtemps, maintenant… 13 années pour le moins. Oui…vos pères respectifs avaient servi dans le même bataillon du Yorkshire.
Case 6 : Au premier plan : Un bout du visage de la vieille Mary entre dans le champ. Son regard est tournée vers les filles de Sir Sherrinford (hors champ) mais semble ignorer totalement celle qui se tient (au second plan) dans sa robe à l’entrée de la pièce, Violet (17 ans) un visage très différent des trois autres, un visage émacié et acéré, la tête basse, les lèvres pincées, essayant de ne pas montrer la colère qui monte en elle. Violet se tient à côté du mannequin qui supporte la robe que va revêtir Emilie, quasi caché derrière.
Mary : Une belle amitié était née et ils leur arrivaient de se voir en famille de loin en loin. Malheureusement votre chère maman a fini par tomber malade... et nous n’avons plus revu le jeune Siger depuis ce temps là.
Case 7 : Plan sur le visage baissé de Violet. On sent une tension en elle qui met mal à l’aise. Rien que son attitude, le fait qu’elle ne participe pas au chœur des questionnements à Mary, est troublant.
Emilie : Mais notre Mary n’oublie pas un visage, n’est ce pas ?
Ambre : Alors pourquoi as-tu éludée la question d’Elisabeth ?
Ambre : Serait-il donc… laid ?