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Serge Honorez :
"A Dupuis, on a une vraie politique d'auteurs."Tant mieux pour eux, ça fait rêver. Mais les auteurs, parfois, on les emmerde.
Et c'est justement tout le problème ici. C'est un contresens absurde que d'appliquer cette conception des choses à SPIROU & FANTASIO qui n'est pas - et n'a jamais été - là pour mettre en avant des auteurs. Les auteurs (toujours des débutants ou quasi-débutants, Jijé excepté) se mettaient au service de la série et du personnage. Nuance essentielle que Honorez ne saisit visiblement pas.
Et chaque album paru depuis le début du XXIe siècle nous prouve à quel point cette volonté de mettre des auteurs en avant sur SPIROU est mauvaise et ne fonctionne pas.
Que ce soit Franquin, qui a créé SPIROU (Oui, je sais, il n'a pas créé le personnage, bla bla bla...), que ce soit Fournier ou Tome & Janry, ils se sont tous effacé derrière le personnage pour se mettre
à son service (allez faire comprendre ça à Yoann & Vehlmann).
Depuis que la bande-dessinée est pompeusement devenue "Neuvième Aaaart" (quelle blague !) dans les années 1980 (heureusement, SPIROU avait déjà été confié à Tome & Janry à ce moment-là), la série est mise entre les mains de professionnels qui ont déjà une carrière dans le milieu, qui ont leurs propres séries et personnages (Morvan, Vehlmann, Yoann...) et pour qui il est inenvisageable de s'effacer derrière un personnage préexistant, rabaissé au rang de travail de commande : parce qu'ils sont "auteurs" et que dans le monde actuel (celui qui encense connement l'art contemporain), l'auteur – ou artiste – est considéré comme un demi-dieu à qui l'on passe tout.
Et donc, celui-ci a toujours raison. Il sait, lui, ce qui est juste et bon (cf. les déclarations de Vehlmann en début d'année qui ne comprenait pas pourquoi les jeunes lecteurs ne venaient pas lire sa prose). Quant à toi, indigent petit lecteur, qui ne sait rien de l'Art (dit le neuvième), tu as toujours tort. Alors cesse de critiquer. Vilain !
L'inversion est donc totale : jusqu'à la fin des années 1990, les auteurs/artisans étaient au service de la série. Depuis le début du nouveau siècle, la série est au service de l'ego des auteurs/artistes.
Et franchement, on se fout des auteurs. C'est SPIROU qui intéresse le lecteur, pas les velléités artistiques de quelques uns qui n'en reviennent pas d'être cités dans la même liste de noms que Franquin.
Autre chose :
Lorsque sort une nouvelle série, les éditeurs peinent à faire venir à eux un public pour vendre leurs nouvelles parutions. Problème qui n'existe absolument pas pour SPIROU & FANTASIO, car
il y a une demande. La série n'a certes jamais eu autant de succès que des TINTIN, ASTERIX ou LUCKY LUKE, mais elle en a toujours eu pendant près de soixante ans. Parce qu'il y avait une base réelle et solide de lecteurs. Et celle-ci n'a pas disparu du jour au lendemain. Le public est là. Il existe !
Et c'est là que ça devient formidable : Dupuis fait exprès depuis vingt ans de ne pas satisfaire la demande du lectorat qui s'est pourtant renouvelé sans problème au cours des générations et qui a fait le succès de la série quelle que soit l'époque ou le(s) repreneur(s) (de 1938 à 1998).
Il y a une demande (conséquente sinon considérable). Et elle n'est pas satisfaite.
C'est qui le commercial de Dupuis ? Sans déc' ?
S'il paraissait aujourd'hui un SPIROU & FANTASIO dans la droite lignée de ce que faisait Tome & Janry dans les années 1990 (pré-
Machine qui rêve), ça se vendrait comme des petits pains ! Et on ne cesserait d'entendre ou de lire des : "Ah ! Enfin un SPIROU digne de ce nom !" ou "Le premier SPIROU depuis 23 ans !".
Depuis 2004, Dupuis a fait un bras d'honneur au lectorat traditionnel en lui fourguant Morvan/Munuera (qui ont bien vendu au début après six ans d'absence de la série dans les rayons – effet de curiosité), puis des VU PAR, puis Yoann & Vehlmann en tournant le dos sciemment à tout ce qui avait fait l'identité de la série depuis Franquin (style graphique, type d'histoire).
Des années 1950 à 1990, on pouvait acheter n'importe quel numéro de SPIROU & FANTASIO les yeux fermés, on savait ce qu'on allait y trouver. Et même si parfois on pouvait être déçu par un tome ou l'autre, dans l'ensemble, ça restait homogène et fiable. Le suivant rattraperait le coup. Depuis 2006, lorsqu'on achète un SPIROU (toutes séries confondues), on se demande régulièrement si on ne s'est pas gouré de rayon lorsqu'on feuillette un de ces albums.
Pourquoi les gamins ne lisent plus SPIROU aujourd'hui ? Parce que leurs parents ne les leur achètent plus.
Pourquoi ? Parce que ce n'est plus SPIROU (comprendre : on n'y trouve plus ce qu'on était censé y trouver).
Pourquoi Uderzo s'est cassé le tronc à chercher quelqu'un qui dessine au plus proche de ce qu'il faisait pour prendre sa succession ? [ce n'est qu'un exemple parmi d'autres]
Pourquoi ce qui paraît inacceptable pour les autres séries, comme ASTERIX, est considéré comme envisageable pour celle-ci ?
On répond généralement pas une bêtise : "Parce que SPIROU appartient à l'éditeur, et pas à un auteur". Et c'est d'ailleurs en vertu de cette idée grotesque que la série est devenue n'importe quoi sous tout un tas de formes. Et le pire, c'est que Dupuis ose se plaindre. "Ouiiin, ça se vend pas... ! Je comprends paaas..."
La nouvelle trouvaille serait donc de refondre toute la série.
Honorez nous dit :
"Entre Jijé et Tome & Janry, par exemple, il y a plus qu'une nuance. Chaque Spirou est différent."Pas plus de différence qu'entre
Tintin en Amérique et
Tintin et les Picaros. Eh, guignol !
Le public serait donc désormais devenu trop stupide pour ne pas comprendre le principe d'évolution d'une série de bande-dessinée ? Et puis prendre Jijé comme exemple est un peu culotté : les aventures de Spirou par Jijé sont disponibles auprès du grand public depuis seulement trois ans, sous forme d'un épais volume d'intégrale qui n'intéresse que les vieux (dont je fais partie).
Si Dupuis veut vendre SPIROU & FANTASIO aux gamins, il faut déjà qu'il se réconcilie avec les adultes pour que ceux-ci les leur achètent.
Autrement, c'est mort.
Mais attention, l'horloge tourne les amis. Ça fera bientôt une génération (25 ans) qu'on n'a plus vu un vrai SPIROU & FANTASIO. Les nouveaux parents ayant lu la série classique sont de moins en moins nombreux et donc de moins en moins susceptibles de la faire découvrir aux générations futures.
Dupuis avait un objet éditorial exceptionnel qu'ils ont détruit eux-mêmes par snobisme auteuriste ; et sans l'aide de personne.
Il aurait suffit de faire ce que tout le monde sait qu'il faut faire au pays des lecteurs (c-à-d reprendre les choses où elles en étaient restées à la fin de
Luna fatale) pour que la série soit relancée. Mais non. Apparemment c'est inconcevable ("Quoi ! Revenir à Tome & Janry, mais vous n'y pensez pas !" C'est pourtant ce que veulent les lecteurs qui ont fait le succès de la série, et qui l'ont donc fait vivre).
SPIROU & FANTASIO va couler de plus en plus, et les inepties supergroomesques n'y changeront rien (j'ai vraiment un gros doute à propos de cette version du personnage qui se pointe dans un troquet en demandant un "lait de noisettes" pour son écureuil et qui s'étonne de se faire traiter de bobo). Sans déconner ! Y a vraiment quelqu'un qui pense que ce machin peut marcher !?
Et qu'on ne me dise pas que c'est impossible. Je suis persuadé qu'il existe des tas de gars (ou de gazelles) qui savent dessiner dans la lignée de Janry et qui peuvent prendre le relais pour débuter une carrière dans le milieu en s'appuyant sur un(e) scénariste capable de créer des aventures humoristiques de qualité adaptées au monde actuel.
Dupuis est au-dessous de tout depuis vingt ans et le naufrage de SPIROU est leur entière responsabilité. C'est triste. C'est dommage. Tant pis. Mais c'est bien fait pour le gueule. Ils l'ont bien cherché.
"Un gentleman est quelqu'un qui sait jouer de l'accordéon et qui s'abstient" (Tom Waits)