D H T a écrit:Au risque d'être pointilleux, je vais quand même argumenter. D'abord je comprends votre point de vue, ou je pense le comprendre: ce que vous aimez dans les reprises de Spirou, c'est le fait de respecter ce que Franquin a mis en place à la suite de Rob Vel et de Jijé, tout en apportant une touche personnelle. D'où votre goût pour les albums de Tome & Janry et je vous rejoins totalement sur ce point. Partant de là, vous n'êtes pas contre une nouvelle reprise tant que cet état d'esprit est préservé. C'est là que nos avis divergent.
Nope, je considère Franquin comme un (énorme) maillon dans une longue chaine. Ce qe je veux qu'on respecte, ce n'est pas l'état d'esprit de Franquin, c'est la continuité de la série, en faisant en sorte qu'elle se renouvelle, mais toujours de manière cohérente par rapport à ce qui a été fait avant, que ce soit Welter, Franquin, Fournier ou Tome. De mon côté, j'ai tendance à considérer une série dans sa globalité. Vous aussi, à votre manière. Mais là où vous l'envisagez plutôt en terme de reprise perpétuelle, je pense que cette dynamique va vers l'épuisement et je pense qu'il faudrait fixer, à un moment donné, le terme de la série pour des raisons de cohérence narrative. Une série est une oeuvre globale. Elle a un début et une fin. Ce n'est que dans la connaissance de ces deux extrémités que le développement peut tenir. Sinon, on quitte l'oeuvre et on tombe dans l'industrie pure et dure.
Je ne prétends pas avoir raison dans l'absolu. J'explique pourquoi je quitte le train en marche - ou plutôt, pourquoi je descends à la station 50. Ce qui est intéressant, c'est de comprendre les raisons de chacun: pourquoi certains s'arrêtent et pourquoi d'autres continuent. Une série, dans sa réalisation, demande une certaine énergie: énergie déployée par les auteurs, par les éditeurs, par les libraires et par d'autres intermédiaires - sans oublier les lecteurs. Je compare cette énergie à des phénomènes cosmiques, planétaires, géologiques. Les continents dérivent, se déforment, se reforment autrement. Il semble y avoir un éternel retour. Mais la planète a une durée de vie, et l'énergie mobilisée pour permettre de tels bouleversements est limitée.
Donc les scientifiques pensent qu'on évolue, sur le long terme, vers une Pangée ultime, où les continents cesseront de dériver par épuisement. En fait, en ce sens, il n'y a pas d'éternel retour, le retour existe mais il ne se produit qu'un certain nombre de fois. L'être humain a hérité de cette propriété naturelle, surtout dans des domaines comme l'art, la représentation graphique, la narration, qui synthétisent le fruit de l'expérience humaine. Une synthèse ne peut s'étaler indéfiniment, sinon ce n'est pas de l'art.
Peut-être que ce n'est pas non plus le problème de certains lecteurs, que ce soit de l'art ou pas. Mais même, on voit bien qu'une série comme Spirou tend à constituer, par des allusions inévitables aux albums précédents, un grand récit. Et un grand récit suppose une fin. De jeunes auteurs peuvent-ils continuer à s'enthousiasmer pour une série dont le bagage s'alourdit à chaque nouvel album, discréditant chaque jour un peu plus le lien, de plus en plus ténu, qui existe entre les premiers albums et les derniers? A mon avis, non. A un moment donné, ce n'est plus possible. La série ne croit plus en elle-même, elle s'auto-décrédibilise. Donc personne ne peut plus croire en elle. C'est ma perception des choses. Tout le monde ne la partage pas, mais elle existe - ce qui n'empêche pas qu'il y aura peut-être encore des dizaines d'albums Spirou dans l'avenir.
Je crois fermement que cette série peut se développer de manière crédible sans se soucier des précédents, avec un scénariste talentueux qui sait créer de nouveaux personnages et faire prendre à ces héros de nouvelles directions avec un nouveau réseau d'amis/ennemis. Fournier a dû se débrouiller sans le Marsupilami, et a créé Ito Katah. Cauvin a pu renouveler la série avec l'apparition des 3 zozos spaciaux de la "ceinture du Grand Froid" et autres albums. Tome a pu réutiliser Zorglub, certes, mais a aussi créé un de mes méchants préférés de toue la BD belge : Vito Cortizone : 4 albums. Morvan a créé Miss Flanner et Tanzafio (celui avec la fontaine de jouvence), avec moins de bonheur (Miss Flanner est totalement transparente et le restera). Dans cette dynamique, l'héritage ne pèse pas forcément très lourd. Tout le mérite de chaque repreneur est de mettre ces héros universels et maléables à souhait, dans des univers différents. Ils n'ont d'ailleurs souvent pas le choix puisque la question des droits se pose souvent, notamment avec le Marsu, et aussi peut-être avec Vito.)Se pose aussi le problème de la sacralisation de Franquin. Certes c'était un auteur génial, un des plus grands noms de la BD de tous les temps et de tous les pays, qui a donné à Spirou ses lettres de noblesse et tant d'autres choses. Mais aujourd'hui aussi il y a des auteurs BD, qui ont repris Spirou. Ils ne sont pas des pionniers de la BD européenne comme l'a été Franquin, mais ce sont des auteurs BD tout comme Franquin. Ils font le même travail, le même métier, et il n'y a rien d'outrancier à une telle comparaison. L'époque est différente, mais justement la difficulté des auteurs actuels n'est-elle pas d'autant plus grande, quand tant de bases ont été posées, tant de chef d'oeuvre déjà écrits? Le consensus se crée autour de la "panne" qu'a été la période Nic & Cauvin, que certains comparent à Morvan & Munuera. Mais ces derniers sont d'une autre génération, dont les défis sont plus lourds à relever.
Une telle équipe possède aujourd'hui, en BD, une maestria technique et une maturité que n'avaient pas les pionniers des années 50 quand ils étaient jeunes. Les albums de 47 à 50 sont efficaces, à la fois jeunes d'esprit par leur créativité et adultes par leur recul. Franquin a tissé la trame dans laquelle ils se sont débattus certes, mais ils ont relevé le défi en apportant un scénario plus foisonnant, une action plus percutante, des angles de vue plus risqués, des anatomies plus dynamiques, des décors plus réalistes. C'est très léger au fond, mais c'est l'épilogue qu'il fallait au génial et inégalable "Machine qui rêve" (et là je suis d'accord avec Mr Hubert).
Pas d'accord sur le recul. Je vois ce que tu veux dire, mais dans l'absolu, Morvan en manquait cruellement. Mais passe.
Les scénarios de Morvan ont des qualités indéniables, dont celles que tu décris. Mais comme les défauts ont au moins aussi nombreux. Par contre, on pourrait contester que Morvan s'est débattu dans "une trame Franquin". Je pense moi qu'il s'est retrouvé encarcanné dans ses réflexes Sillage et sa lubie du Manga. Reste que ce qu'il a fait est à des années lumière de Franquin, notamment par l'absence totale de recul et de dérision.Globalement les albums de Franquin étaient bien meilleurs certes, mais le démarrage était difficile et c'est bien la qualité des histoires qui est en cause. Comme les tous premiers Spirou de Franquin paraissent aujourd'hui simplistes, simplets, vieillots, niais, prévisibles, ennuyeux à mourir et relativement mal dessinés! C'est comme les toutes premières histoires de Lucky Luke, mon dieu quel supplice! C'est tout le problème de la BD européenne avant Blueberry, d'ailleurs: le syndrome asexué de Tintin, le côté "littérature pour boyscout débile'", désolé de choquer certains.
Bon, le lynchage ne devrait pas tarder, donc je vais laisser faire On sent qu'il y a un potentiel énorme, un dessin à la fois plus vivant et plus fouillé qui va très vite donner des albums géniaux. Ce n'est pas pour tout de suite, c'est tout ce que je veux dire. Spirou ne devient potable qu'à partir d'"Il y a un sorcier à Champignac", la série ne décolle vraiment qu'avec "Spirou et les héritiers", l'apparition de Zantafio et du Marsupilami et là oui je veux bien dire que c'est incomparable, et que la chute du "Dictateur et le champignon" est sublime, qu'elle résume la série à elle seule et qu'elle est même émouvante...