on pourrait dire que la redécouverte de ce roman plus de 40 ans après sa parution est une belle histoire.
Passé complètement inaperçu à sa sortie, il n'est jamais réimprimé. En 2020, un agent littéraire déniche une copie dans un magasin Oxfam et tombe sous le charme. Le livre est réédité, considéré comme un "chef d'oeuvre dystopique perdu" et connaît enfin le succès
En fait, la réalité est terriblement triste.
Kay Dick était une figure de l'édition londonienne. Elle a travaillé avec Orwell sur "la ferme des animaux" et est considérée comme la première femme directrice éditoriale anglaise. Elle a obtenu que les auteurs touchent aussi des droits d'auteur sur les emprunts en bibliothèque, visiblement. Elle a signé plusieurs romans, parfois sous pseudonyme masculin et publie en 1977 "They", qui tombe rapidement dans l'oubli. Les ventes sont très faibles et l'autrice souffre de nombreuses critiques extrêmement dures et sexistes (femme et lesbienne face à des mâles cisgenres blancs au cheveux gris, let's go for a point corbulon
). Lorsqu'elle décède en 2001, Wikipedia indique qu'un auteur qu'elle a aidé dans sa carrière a publié une nécrologie qualifiée "d'amère et abusive". La présence même, pour conclure le récit de la vie d'une personne, d'une référence à une nécrologie honteuse donne quand même à réfléchir, comme si il s'agissait de la dernière chose à se rappeler d'elle.
Mais, passons, qu'est-ce que ce livre mystérieux ?
Pas à proprement parler un roman, ni un recueil de nouvelles. Il se composent de chapitres indépendants qui évoquent des rêves. L'atmosphère est parfois irréelle, un peu ouatée et étrangement dérangeante. Chaque segment reprend des éléments : la narratrice est une femme, visiblement du milei culturel anglais, qui se promène avec son chien dans la campagne anglaise, proche de la mer. Elle y retrouve des amis, souvent artistes, et tous vivent dans un état de suspension, comme une parenthèse face à une menace grandissante. Ils sinquiètent à cause d'EUX. Qui sont-ils exactement ? On ne le sait pas. Mais ils traquent tous ceux qui s'éloignent du cadre du conformisme. Les artistes sont bien sûr particuliètrement visé.
Difficile d'en dire plus, et cette description n'a sans doute pas l'air très engageante. Et pourtant, il se dégage un malaise diffus mais permanent de ces pages. Le style très éthérée donne l'impression d'un mauvais rêve, qui paraît un peut trop réel dont on aimerait se réveiller. Par petite touche, c'est toute une société qui bascule qui transparaît. Rien n'est clairement décrit, ce qui laisse latitude au lecteur d'y voir ce qu'il veut, selon la grille delecture qu'il désire y trouver. Certains y verront peut-être une anticipation du wokisme et de la cancel culture, d'autre une dénonciation du fachisme, ou du communisme, ou du capitalisme... la force d'une bonne dystopie n'est pas de dénoncer une situation, mais de pousser à la réflexion, sans s'arquebouter sur (ou contre) une idélogie. 1984 dénonce la communisme version staline (du petit père à big brother, c'est transparent), mais ne se limite pas à de l'anti-communsime. Il dépasse cette vision simpliste pour s'attaquer au totalitarisme, qui n' pas d'idéologie spécifique. Staline a servie de moule, mais il n'est pas BB. C'est tout le contraire d'une Ayn Rand, dont l'anti-communisme maladif a donné un "Anthem" boursouflé parce qu'elle y développe une critique acerbe et aussio excessive que ce qu'elle dénonce, tombant dans le pamphlet maladroit.
Kay Dick est plus subtile, et son roman mérite en effet d'être redécouvert.