Cooltrane a écrit:Mmmhhh!!!... fini la lecture de l'Intégrale 1
Je suis d'ailleurs assez déçu des relations de MM avec l'environnement (il arrose les plantations d'engrais chimiques)
Il faut replacer ces épisodes dans leur contexte (une série naissante) et leur époque (le début des années 70).
C'est dans
Le chemin de nulle part, un récit complet paru dans un Tintin Sélection en
septembre 1970, que MM se livre à l'épandage aérien. Ce n'est pas en soi une activité criminelle, illicite ou suspecte. On pourrait saupoudrer les cultures de substances bénéfiques. Mais en effet, Milan répand de la merde toxique, avec son coucou qui fait traktapoum.
Godard, dès le premier pavé narratif, parle du job de MM en ces termes :
"A cette époque, Martin travaillait en Louisiane... Son job consistait à asperger d'insecticide les immenses récoltes de l'Etat. Saupoudreur, que ça s'appelle. Un sale boulot..." Tout était dit.
Aujourd'hui, on comprend que MM balançait des pesticides élaborés dans les usines Monsanto, des saloperies que nos agriculteurs très honnêtes ne se privaient pas davantage de répandre (même ceux qui militaient dans les rangs du PC -j'en ai connu-, pourtant l'agent orange fabriqué par la firme venait d'être utilisé par les USA combattant les communistes au Vietnam) dans leurs cultures, le plus souvent sans précaution aucune (ni masque, ni gants), au moyen de tracteurs pour les surfaces d'exploitation moyennes et au moyen d'avions ou d'hélicos pour les très grandes étendues.
Mais la nocivité et les effets à long terme étaient peu connus, même s'ils étaient prévisibles. On n'en parlait pas dans la presse et les médias comme aujourd'hui, et surtout on ne condamnait pas.
Godard condamne sans appel les produits répandu, les accusant d'être neurotoxiques, dans son histoire censée destinée à des gamins (les lecteurs de Tintin Sélection ne devaient pas capter grand' chose dans ce type de RC) aux cases 4 et 5 de la planche 11 du récit (page 177 de l'intégrale) :
Parlant de Milan, l'adjoint du shériff et ce dernier ont cet échange :
- A force de rester seuls dans les nuages, tous ces pilotes finissent par devenir complètement cinglés un jour ou l'autre...
- Ce n'est pas ça, Floyd !... Plutôt cette saleté de poudre insecticide ! Ils en avalent autant qu'ils en sèment sur les récoltes... M'étonnerait pas que ça finisse par les intoxiquer...
Maintenant, si on s'amusait à recenser les auteurs qui balançaient ce genre de vannes dans la presse pour enfants de l'époque, on n'en trouverait qu'une infime poignée. Godard, avec son Martin Milan, fut de ceux-ci.
Cooltrane a écrit: MM saute sur n'importe quel client louche pour ramasser du flouze, il vit dans des endroits malsains (Nica-Rica, Slavonie, Baltovachie), etc...
Là encore, il faut ne pas inverser. Ce sont les clients louches qui viennent à lui. Mais les petits entrepreneurs et les gens à leur compte ont parfois du mal à refuser des propositions (quand les échéances tombent, il faut raquer si on ne veut pas trouver l'huissier à sa place, derrière l'huis, le doigt sur la sonnette).
Ensuite, on a souvent reproché aux héros de la BD mainstream FB d'être trop lisses, trop parfaits, trop purs.
Martin Milan, justement, n'est pas un de ces héros trop lisses. Mais ce n'est pas un pourri pour autant. On a pigé qu'il n'a pas de fortune personnelle et qu'il n'a pas un bagage d'énarque pour prétendre se caser dans la Haute administration.
Justement, comme MM doit gagner durement sa croûte (à la différence de pas mal de personnages de BD qui doivent être subventionnés ou vivre de leurs rentes...), avec sa modeste qualification (ce n'est pas un pilote de ligne mais vraisemblablement un simple pilote professionnel), les offres sont limitées et peu rémunératrices. Quant au monitorat dans les aéroclubs, c'est du bénévolat.
Je connais dans la vie réelle plusieurs pilotes qui ont accepté de voler dans des conditions assez proches de celles de MM, sur des zincs plus gros mais tout aussi brinquebalants (des biturboprop) qui avaient trimbalé paysans, poules et cochons d'un patelin à un autre du temps de l'ex-URSS, où le pilote ukrainien et le copilote français ne se comprenaient pas dans le cockpit, pilotaient sans les bonnes qualifs (le commandant de bord ukrainien n'était pas qualifié IFR et ne parlait pas anglais bien qu'une partie du vol fût sans visibilité et les communications radio dans la langue de Shakespeare avec les contrôleurs du Royaume Uni), etc...
Et s'il accepte des jobs peu reluisants, Martin en est la première victime. Il risque sa peau dans son avion délabré et lorsqu'il répand des pesticides, ses "éponges" sont les premières à déguster.
Cooltrane a écrit:C'est assez éloigné du MM que je connaissais dans Agonie ou Adeline, où il ressemble déjà plus à un Jonathan, un Simon Du Fleuve ou encore un Buddy Longway.
Stop ! Halte là ! Ce n'est pas Milan qui ressemblera un jour à Jonathan, Simon du Fleuve ou Buddy Longway.
C'est l'inverse. Il les a tous précédés et a ouvert la voie.
Et ainsi, au début des années 70, seul le journal Spirou (et Mickey également) n'a pas pris le train de l'évolution vers un lectorat plus âgé, plus mûr, distancé par Pilote (Gotlib, Fred, Reiser, Forest, Christin et Mézières, Charlier avec Gir et Jijé, etc...), Pif (Corto, Jungle en folie, M. le magicien, Concombre masqué, etc...) et Tintin (sous la férule et les choix de Greg, qui donnait l'exemple également avec son Comanche notamment).
Cooltrane a écrit:je gardais le souvenir d'un Milan relativement pur, alors qu'à ses débuts (dans cette intégrale), on ne perçoit pas vraiment (encore?) ce trait dans son caractère.
Enfin, malgré tout, dans
Les clochards de la jungle, c'est le journaliste qui, pour ne pas être sacqué par son employeur, embarque clandestinement un moutard dans l'avion déglingué.
Milan, droit dans ses bottes, réagit comme il se doit :
- lorsqu'il s'avise qu'on lui fait transporter du riz et du manioc destinés à empoisonner les "natives",
- et lorsqu'il découvre qu'il avait embarqué clandestinement un gamin, l'exposant aux risques du voyage aérien et à ceux du périple dans la jungle.
Chez Godard, les personnages ne sont peut être pas purs ni parfaits (il y a de sacrés vilains), mais perfectibles et certains sont capables de repentir ou de rédemption.
Ainsi du journaliste qui subira une évolution radicale, à la fin de l'histoire.
Je trouve que ce tome 1, à travers l'évolution de la série, est le reflet d'une tendance qui se met en place dans la bande dessinée.
yannzeman a écrit:J'ai commencé la lecture de cette intégrale 1 hier soir, mais la fatigue m'a emporté avant que je n'attaque la 1ère BD.
Je suis quand même frappé par les progrès de Godard, à ses débuts, dans le dessin.
De dessins sans grand intérêt, il est assez vite passé à ce qui deviendra son style inimitable.
Même dans les premières histoires, son dessin n'est pas sans grand intérêt.
Beaucoup de lecteurs de franco-belge doivent regretter qu'on ait perdu la recette de ce style caractéristique. Et notamment les nostalgiques du style Janry sur Spirou.