Mediapart : la démocratie meurt dans l'obscurité
De plus en plus perceptibles à mesure que la prochaine échéance présidentielle se rapproche, les atteintes aux libertés publiques et aux droits fondamentaux ont jalonné le mandat d’Emmanuel Macron depuis son préambule :
En 2017, les principales dispositions dérogatoires aux droits fondamentaux et aux libertés essentielles, qui caractérisaient l’état d’urgence, sont entrées dans le droit commun. L’ensemble des défenseurs des droits humains, rassemblés dans ses locaux par la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), tout comme les experts qui en ont officiellement la charge aux Nations unies, s’étaient solennellement dressés contre cette dérive.
En 2018, le Défenseur des droits, Jacques Toubon, estimait que « le demandeur d’asile [était] mal traité » par le projet de loi « asile et immigration » porté à l’époque par Gérard Collomb. Ce texte « rend les procédures encore plus difficiles pour les plus vulnérables », arguait également la présidente de la CNCDH, Christine Lazerges, tandis que la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, Adeline Hazan, exprimait « ses vives inquiétudes pour les droits fondamentaux des personnes étrangères ».
En 2018, toujours, le président de la République a aussi contribué au recul du droit à l’information, en promouvant deux textes, ayant pour point commun de détricoter la loi du 29 juillet 1881 protégeant la liberté d’expression : celui sur le secret des affaires et celui sur les « fake news».
En 2019, le chef de l’État rêvait encore de placer la presse sous tutelle en créant des « structures » qui auraient la charge de « s’assurer de sa neutralité ». Au même moment, sa majorité adoptait dans l’urgence la loi « anticasseurs », restreignant le droit de manifester, qui découle de l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme sur la liberté d’opinion. Un texte là encore pointé du doigt par les défenseurs des libertés publiques et des droits individuels. « Réveillez-vous mes chers collègues ! Le jour où vous aurez un gouvernement différent, vous verrez, quand vous aurez une droite extrême au pouvoir, vous verrez, c’est une folie que de voter cela ! », avait à l’époque lancé le député centriste Charles de Courson, durant l’examen de la proposition de loi.
En 2019, toujours, alors que la mobilisation des « gilets jaunes » perdurait et que les violences policières se multipliaient, le Parlement européen, puis la commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Dunja Mijatović, suivie de la haute-commissaire aux droits de l’homme de l’Organisation des Nations unies (ONU), Michelle Bachelet, s’alarmaient tour à tour de l’« usage excessif de la force » pour réprimer la contestation sociale, appelant la France à « mieux respecter les droits de l’homme lors des opérations de maintien de l’ordre » et « à ne pas apporter de restrictions excessives à la liberté de réunion pacifique à travers la proposition de loi visant à renforcer et garantir le maintien de l’ordre public lors des manifestations ».
[En 2020, l'article 24 de la loi « Sécurité globale »] n’est que le symbole flagrant d’une débâcle plus générale : le basculement dans un régime autoritaire, rompant avec ce qui restait d’esprit libéral dans nos grandes lois républicaines. C’est pourquoi nous demandons, au-delà du retrait pur et simple de cet article, le retrait de cette loi « Sécurité globale » dont les dispositions accroissent les pouvoirs de surveillance de l’État tout en annihilant les contre-pouvoirs de la société (lire l’article de Pascale Pascariello sur le Livre blanc de la sécurité intérieure). Avec l’autre loi de rupture, celle sur le « séparatisme » portant désormais l’emblème des « principes républicains » (lire l’article de Camille Polloni, Faïza Zerouala et Mathilde Mathieu), elle forme un tout qui renverse deux piliers démocratiques : quand l’une s’attaque à la liberté d’informer par et pour tous les citoyens, l’autre s’en prend à leur liberté de s’exprimer en voulant instaurer une procédure expéditive de comparution immédiate pour les opinions dissidentes ou provocantes.
Si ces textes sont adoptés, ce ne sera plus le règne de l’arbitraire, des manifestations empêchées, des protestations réprimées, des violences illégitimes, des états d’urgence prolongés, etc. Non, c’en sera la consécration officielle, légale, définitive.