sergent bebert a écrit:..... Doisy travaillait pour Dupuis avant guerre, au Moustique, dont il était l'un des principaux rédacteurs. Il a été choisi pour diriger Spirou à cause de ses qualités rédactionnelles. Je crois que les communistes et les catholiques n''étaient pas si éloignés que cela du point de vue des valeurs: c'est sur l'humanisme qu'ils se retrouvaient. et puis Doisy était chrétien d'éducation. Je pense que la question politique n'a pas joué un si grand rôle que cela. Il n'est d'ailleurs pas certain du tout que les Dupuis aient onnuu les opinions de Doisy avant guerre. C'est la guerre qui les a révélées au grand jour, par son engagement dans la résistance au Front de l'Indépendance.
J'ai achevé ce matin la lecture de ce beau livre. Une somme qui fera désormais référence sur cette période des débuts de Spirou, et qui rends à chacun sa part dans la création de ce personnage. Que de surprises !J'ai vraiment apprécié ce travail, considérable, de recherches à plusieurs niveaux. Et la profusion des témoignages ne retire rien à la lisibilité et à la compréhension du processus de création en question. D'ailleurs, chaque chapitre est précédé et suivi d'un rédactionnel de synthèse qui donne le point de vue des auteurs.
Pour ce qui concerne le point crucial des engagements politiques de chacun des protagonistes dans cette période éminemment troublée que fut l'occupation nazie, je pense utile de dissocier l'Entreprise Dupuis et ses dirigeants , de la masse de leurs différents salariés.
Pour résumer à grands traits, je dirai que le patriarche, Jean Dupuis, réfugié à Londres (sans aucune motivation politique, ce fut simplement la suite de son exode de mai 40) adopte une position attentiste et neutraliste : pour lui, seule la survie de l'entreprise compte, il l'exprime clairement dans ses lettres. Le reste de la famille (essentiellement Paul Dupuis et René Mattews)fera tout pour atteindre ce but familial. Et de fait, force est de constater que, sous étroit contrôle de la censure allemande, Spirou paraîtra durant toute la guerre, exceptée la dernière année. Toute l'ambiguïté réside dans ce fait. Les Dupuis maneuvreront habilement pour que les allemands ne confisquent pas l'enseigne, et Spirou ne sera interdit de parution qu'en sept 43, essentiellement pour la pénurie de papier régnant alors (c'est le diktat des allemands, qui contrôlent cette répartition, et priviliégient la presse à leurs ordres, un "illustré" destiné aux enfants pèse de peu de poids à leurs yeux).
Les Dupuis font bouillir la marmite, et donnent du travail à leurs ouvriers ( tous n'éviteront pas malgré tout le STO). Mais ce n'est en rien un brevet de résistance. Et le contenu du journal offre des thématiques "Travail, Famille, Patrie" assez proches de ce que fera Coeurs Vaillants en France. Spirou divertit, sur un arrière-plan moralisant. Rien de répréhensible pour la propaganda staffel. Par contre, il faut porter au crédit des Dupuis leur refus d'éditer toute propagande allemande, dont le journal Signal. Ces refus sont, eux, d'indiscutables actes de résistance.
Les Dupuis sont par ailleurs crédités d'action clandestine (ont-elles été reconnues à la Libération ?), et Jean Doisy , authentique résistant ,leur décernera un brevet de bonne conduite.
Continuer à paraître, ou pas, sous contrôle de la censure allemande, fut le dilemme de toute la presse, en Belgique comme en France. J'observe que les Dupuis ont su conjuguer la défense de leurs intérêts matériels en optant pour la parution, sans se compromettre idéologiquement, et en s'investissant à titre personnel dans quelques actions de résistance. Le bilan est honorable, pas glorieux (c'est la presse clandestine qui mérite ce qualificatif).
Il en va tout autrement de Jean Doisy, salarié des Dupuis, qui portera sa double casquette de Fureteur (apportant de la "saine" distraction à ses petits lecteurs, et de belles initiatives éditoriales au profit de ses patrons) et de résistant aux responsabilités importantes, et au charisme certain (voir l'aventure du Farfadet et de la famille Moons, un des chapitres les plus passionnants du livre). Un sacré bonhomme ! Son engagement communiste ( pratique honnie de la bourgeoisie avant juin 41, ne l'oublions pas, et seulement "cooptée" de juin 41 à 1948, début de la guerre froide) entrait-il en contradiction avec son travail dans Spirou ? Objectivement, non, puisque Jean Doisy y promouvait les valeurs traditionnelles des Dupuis, avec talent et conviction. Force est donc de constater que cette dichotomie, qui mettait en balance d'un côté son gagne-pain et sa passion pour ce journal et de l'autre son but politique (le renversement de la bourgeoisie et l'appropriation des moyens de production par le prolétariat, y compris les éditions Dupuis, donc
)ne l'empêchait pas d'oeuvrer à fond pour le plus grand bien des éditions Dupuis...quelque part, mutadis mutandi, ça me rappelle ce colonel anglais du Pont de la rivière Kwaï, qui , pour bâtir un beau pont british, travaillait en fait pour les japonais...euh !...j'abuse, là.
Jean Doisy, et plus tard Yvan Delporte, sont la preuve qu'au sein de l'équipage classique d'un vaisseau amiral les pirates peuvent prendre le pouvoir, à condition de n'arborer leur pavillon rouge ou noir qu'à la dérobée. L'intrusion de Gaston en étant, pour moi, la plus belle réussite.