Effectivement "l'achat d'opportunité" comme tu le décris n'est pas possible, c'est pour ça que j'ai bien dit que ça ne remplacera jamais totalement la librairie "traditionnelle" (et je prends "traditionnelle" au sens ultra-large, en incluant grandes surfaces, Fnac, Cultura, etc.). Du reste, ce n'est sans doute pas un hasard si la librairie qui s'ouvre est celle d'un éditeur universitaire : c'est le genre d'éditeur auquel tu t'adresses avec un besoin précis, les gens vont rarement acheter "sur un coup de cœur" ou sur une inspiration soudaine, comme pour un roman ou une BD, un essai sur les biens communs dans le modèle socio-économique médiéval, ou une analyse du théâtre de Marivaux.
En revanche, ça peut ouvrir un marché à côté de ça, et à partir du moment où
1/ ça concerne un ou des livre(s) que tu aurais de toute façon dû commander, faute de le(s) trouver au moment T chez ton libraire,
2/ le livre que tu tiendras entre tes mains le lendemain sera
strictement identique quel que soit son mode de fabrication,
3/ le temps de fabrication et de livraison est inférieur au temps qu'il aurait fallu pour commander et obtenir le livre dans les conditions "traditionnelles",
je ne vois pas ce qui te fait dire qu'on te "prend pour un con" ou que tu pourrais réclamer de payer moins cher.
À moins que tu aies une mystique du livre conservé dans un entrepôt géant, telle une Belle au Bois Dormant, en attendant que tu choisisses amoureusement de faire la commande qui permettra qu'on l'en délivre et qu'on te l'achemine par camion...
Autant je suis d'accord pour dire qu'il faudrait une baisse des prix beaucoup plus conséquente sur le livre numérique par rapport au livre papier, autant là, ça me semble nettement plus dur à justifier. C'est, pour ainsi dire, la chaîne du livre qui est dématérialisée dans l'affaire, pas le livre lui-même : pour le consommateur au bout du compte, le résultat est le même.
(Avec les procédés actuels, s'entend ; parce que jusqu'à une date assez récente, l'impression à la demande, c'était effectivement un truc coûteux pour un résultat craignos... mais ça, c'était avant.)Est-ce qu'il t'arrive de commander des livres sur Amazon ? Est-ce que tu trouves que c'est "être pris pour un con" que de payer un livre sur Amazon le même prix que tu le payerais à la Fnac ou en librairie
(si tu disposes d'une carte de fidélité de la Fnac ou de ton libraire pour avoir droit aux 5% de remise) ?
Ce sont pourtant des enjeux très similaires : Amazon commande en de telles quantités qu'au lieu de négocier sa marge avec les diffuseurs, comme les autres, il le fait directement avec les éditeurs, et achemine directement les livres depuis les ateliers de l'imprimeur jusqu'à ses propres entrepôts, en raflant au passage les marges de tous les intermédiaires. Donc Amazon pourrait, "techniquement", faire payer le livre moins cher puisqu'il fait de substantielles économies. Mais ce serait illégal, parce que la loi Lang impose le prix unique, justement pour éviter qu'un acteur en position de force comme celle-là ne plante tout le marché et ne condamne la librairie indépendante.
(Déjà, rappelons que quand on leur a imposé de ne pas cumuler frais de port gratuit et remise de 5%, ils s'y sont "soumis" en... mettant les frais de port à 1 centime. Ça s'appelle un doigt d'honneur.)L'impression à la demande, en quelque sorte, ce n'est jamais qu'une radicalisation de ça
(et Amazon ne fait jamais que ce qu'a tenté la Fnac dans les années 70), sauf que les bénéfices sur les marges "court-circuitées" reviennent à l'éditeur et pas au détaillant. Et que la clé de l'économie se fait sur le fait de produire
moins, mais à plus bas coût, plutôt qu'en jouant sur une grande quantité de production et/ou d'achat, avec des centaines ou des milliers de volume qui soit devront être stockés pendant des années, soit seront au final pilonnés. (Ce n'est pas forcément plus mal d'un point de vue écologique, soit dit en passant.)
On pourrait envisager que ça fasse baisser le prix de vente pour un livre qui ne serait destiné à être diffusé QUE par ce biais, mais ça, je doute que ça devienne un modèle massif, ou du moins pas avant un bon moment... justement pour les raisons que tu as pointées.
Ce qui pourrait s'envisager aussi, mais c'est pas gagné non plus, c'est que les auteurs s'organisent pour faire pression afin que leur propres bénéfices soient recalculés dans l'affaire. Dans l'état actuel des choses, c'est en moyenne 10% du prix d'un livre qui revient à l'auteur, 20% à l'éditeur, et bien sûr il y a les 5,5% de TVA qui reviennent à l'État : le reste, soit quasiment les deux tiers, se répartit entre l'imprimeur, le diffuseur, le distributeur, et le libraire. Si l'éditeur se débrouille pour que ces deux tiers lui reviennent
aussi, la moindre des choses serait qu'une partie revienne aux auteurs, et pas qu'on soit sur un modèle 10% auteur / 85% éditeur / 5% État.