(À quoi Sfar nous amène comme débat, quand même...) (Mais je vais essayer de reboucler la boucle.)La portée philosophique de Rousseau, je ne suis pas sûr que
Les Confessions soient l'endroit où elle s'illustre le mieux. On n'avait pas besoin, pour apprécier le contenu du
Discours sur les sciences et les arts ou du
Contrat social, qu'il vienne nous raconter ses histoires de premiers émois à se faire fesser par son institutrice, ou de panne d'érection avec une courtisane. Par ailleurs, exempter Rousseau de l'accusation de nombrilisme, parlant de quelqu'un qui était en pleine spirale paranoïaque et a fini par écrire un "dialogue" philosophique intitulé
Rousseau juge de Jean-Jacques, bon...!

Ce que je voulais dire en revanche, c'est qu'effectivement ce titre en particulier de Rousseau "s'inscrit dans un courant", qui est
(pour employer à la hache une terminologie problématique, mais allons au plus rapide) ce qu'on peut appeler le pré-romantisme*. Qui se caractérise notamment par une montée en puissance du "culte du Moi" individuel, et de ça, je ne suis absolument pas certain, loin s'en faut, qu'on soit sorti. Effectivement avec Twitter et de façon générale les nouveaux médias (télé, Internet et ses réseaux sociaux...), on peut dire que les choses vont plus vite, que ça s'emballe jusqu'à une certaine absurdité (raconter sa vie pour "exister" avant d'avoir vécu quoi que ce soit...), et que ça prend des proportions plus massives et plus visibles -- mais
fondamentalement je ne parierais pas qu'on est sur une dynamique radicalement différente.
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* raison pour laquelle j'avais choisi de ne pas remonter à Augustin, justement.
Chez Augustin l'individu qui se raconte compte finalement assez peu, on dépasse vite l'anecdote pour le projet religieux plus global, et ça se termine en livres entiers de méditations (superbes, au demeurant) sur la Création, le Temps, le sens mystique de tout ça, etc.De Rousseau à Nabila (pour rester sur ces deux noms), même discours, grosso modo, selon lequel on va montrer au monde "qui on est vraiment", son "vrai visage", se défendre d'une vision société que la société aurait de l'individu concerné. Est-ce que, derrière ce visage, il y a des idées plus intéressantes dans la caboche de Rousseau que dans celle de Nabila ? De toute évidence. Est-ce que Rousseau écrit mieux que Nabila
(feignons de croire que c'est elle qui a écrit son autobio) ? Sans nul doute. Est-ce qu'on peut même dire qu'il y a beaucoup plus de sincérité dans la démarche de Rousseau que dans celle de Nabila ? Même réponse. Mais ce n'était pas la question :
La question [... c'est] de se demander jusqu'ou ira Joan Sfar, et bien d'autres auteurs en mal d'inspiration, en matiere de déballage et d'impudeur? Est-ce donc la marque de notre "ėpoque twiter" si peu spirituelle et si peu intime de toujours mettre tout ce qu'on peut sur la place publique pour faire du fric? Avec tout, avec rien! Allez bouffez-en, ma vie est si géniale bande de cons!!
Merci à Zourbi de me devancer en évoquant Annie Ernaux. Voilà quelqu'un qui compte, à mon avis aussi, parmi les auteurs les meilleurs et les plus importants de notre littérature contemporaine, et dans le genre "déballage", pardon, mais les 9/10e de son œuvre sont de l'autobiographie (ou de l'autofiction) très très très intime : ma première fois, mes relations avec X, mon cancer... Bref. (Et notez que du coup avec mes bêtises, on est parti sur la piste de la littérature, mais si on devait relancer le débat sur la question de l'autobio / autofiction en BD, y aurait aussi de la matière !!)
Donc oui il y a des auteurs qui ont plus de choses à dire que d'autres. Et qui le disent mieux.
Mais je ne pense pas que le critère du "déballage" et de "l'impudeur" soit le critère déterminant pour juger de la qualité de la chose, parce que ce qui importe (pardon de rappeler une évidence) c'est le traitement qui est fait à partir de cette manière première, et que ça peut donner Rousseau, ou Ernaux, ou Néaud, comme ça peut donner... d'autres trucs nettement moins bien (et sans doute en plus grand nombre, mais n'est-ce pas une loi générale ?), et bien sûr plein de trucs aussi entre les deux qui ne sont ni complètement géniaux ni tout-à-fait nullissimes.
Et je ne pense pas que ce soit un phénomène qu'on puisse mettre entièrement sur le compte de notre seule époque, et je ne pense pas qu'on peut condamner tout ce qui se fait aujourd'hui dans le genre en le mettant sous le sceau uniforme d'une "époque Twitter".
Et, -- enfin -- je ne pense pas que Sfar (dont je ne suis pourtant plus fan depuis un bail) soit forcément la cible idéale pour ce genre d'attaque. Parce que l'autobio reste une part très très très très minoritaire dans sa production. Et parce que de toute façon il est trop tôt pour savoir le contenu du livre en question, qui si ça se trouve n'aura rien de plus "impudique" que, mettons,
La Gloire de mon père.
Bam.
Post-scriptum (

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tzynn a écrit:Est-ce que Rousseau publiait sur Twitter ou Facebook?
Certes pas, mais si ça avait existé à son époque, je suis certain qu'il aurait testé.

(Même s'il serait fait battre à plate couture par Voltaire dans l'exercice !)