Tengu # 1 de Mori Hideki et Osaragi Jirô.
Nous sommes au Japon, vers la fin du XIXème siècle et dans les dernières années du shogounat. Le pouvoir féodal résiste à l’évolution inévitable de la société japonaise, bousculée par la forte pression occidentale hors de son isolement de près de deux cent cinquante ans. Afin de mieux résister, les conservateurs ont mis en place des sortes de milices anti-réformes (comme le shinsen-gumi) dans lesquelles officiaient parfois des samouraïs peu scrupuleux cherchant à se faire une place de choix dans leur société… Certains s’élevèrent alors pour lutter contre elles, dont un certain Tengu qui se bat pour que l’honneur et les valeurs des samouraïs arrivent à survivre dans ce Japon en ébullition et en plein changement…
Le résumé est, je le conçois, assez décousu, mais je me suis aidé de celui fourni par Akata / Delcourt en essayant d’en dévoiler le moins possible sur l’intrigue. Le traducteur et l’adaptateur ont fait un travail énorme et remarquable dans une préface et une postface très enrichissantes, toutefois, tout résumer en quelques lignes seulement serait réducteur et trop peu approfondi. J’ai donc préféré vous montrer l’allure générale de l’œuvre sans trop m’attarder sur ce synopsis (ni sur les faits historiques que je ne maîtrise pas parfaitement, pour toute information supplémentaire, allez faire un tour sur le site Internet d’Akata), afin de vous laisser la surprise à la lecture et de ne pas la gâcher.
Maintenant, la question est de savoir si Mori se débrouille aussi bien sur cette adaptation que sur ses scénarios personnels. Et bien oui.
Tengu est raconté avec une grande maîtrise, découpé en chapitres très remplis et fournis en détails historiques sans jamais être rébarbatif, la narration est parfaite, à un tel point que nous arrivons à suivre trois groupes de personnages sans le moindre problème. Vous me direz qu’il n’est pas rare de lire une série où divers protagonistes interviennent fréquemment ? Je vous rétorquerai : « Pas comme dans
Tengu ! ». Ce manga est extraordinairement complexe, dense et intelligent, il reprend non seulement des faits réels mais également des personnalités ayant réellement existé tels certains membres du shinsen-gumi; et il est particulièrement brillant d’arriver à mener à bien son récit tout en conservant les dimensions avérées et historiques, cela sans jamais tomber dans la facilité. Tous les groupes sont excellemment développés et aucun n’est décrit comme étant bon ou mauvais, ce sont des gens qui se battent pour leurs idéaux ou leurs ambitions (de manière plus ou moins rude), Mori (enfin, Osaragi, à la base) évite toute forme de manichéisme qui aurait été très dérangeante à la lecture de ce type d’œuvre et nous l’en félicitons.
Le graphisme est ce qui rend Mori Hideki si unique, il peut attirer ou repousser le lecteur, mais force est de constater à quel point il est travaillé. En ouvrant cette bande dessinée, nous voyons clairement les années d’entraînement, que l’artiste n’est pas n’importe qui et qu’il a réussi à se forger son propre style, réaliste, détaillé et jouant beaucoup sur le noir et le blanc sans avoir recours aux trames (à quelques exceptions près). Mori fait parti de la vieille école et il dessine comme il l’a toujours fait, ignorant les techniques informatiques et autres tramages manuels, il préfère tout faire par lui-même. Et ceci est tout à fait possible grâce à un trait fin et souple, capable de rendre une planche fraîche ou légère par simple nuance dans le jeu des couleurs et le découpage, fort réussi d’ailleurs. L’auteur connaît son art sur le bout des doigts, il le maîtrise à merveille et nous offre ainsi une vision sublime et forte du Japon féodal grâce à une virtuosité certaine dans le coup de crayon. Absolument génial !
Vaste, époustouflant et réfléchi, voilà ce qu’est
Tengu, manga qui s’annonce comme un nouveau chef-d’œuvre de Mori Hideki. Ce volume d’introduction est déjà bien rempli et nous avons du mal à imaginer comment la suite pourrait être meilleure, et pourtant, il se pourrait que nous ayons des surprises.
Une réussite incontestable qui force le respect.
Ma chronique complète (je suis assez fier, cette fois-ci), par ici :
http://www.mangagate.com/news_analyse.php?id=544.