Il faut séparer les bandes dessinées en deux. Celles qui se vendent (encore) et celle qui ne se vendent pas (plus).
Pour ce qui est de celles qui ne se vendent plus ou très peu, moi, ça ne me dérange pas de les voir sur le net.
Que des gens lisent les Enragés, Rails, Nuit Noire (partiellement indisponible) ou autres Lili & Winker (indisponible), je trouve ça très bien (je parle de ce que je connais, hein, mes exemples n'ont pas de valeur universelle...
). Après tout, c'est fait pour ça et on les a faites pour ça.
Et c'est d'ailleurs pour que ça qu'on a mis Lili & Winker, ce chef d'oeuvre absolu de la bande dessinée des années 90, et en version bonne qualité, sur 8Comix...
La seule chose qui me dérange, c'est qu'on me demande pas mon avis. Je sais très bien que personne ne va écrire chez Delcourt pour dire "eh, salut, je voudrais mettre les albums de un tel, un tel et un tel sur mon site pirate, vous voulez bien leur demander leur bénédiction (et aussi une dédicace siouplait, je vous joins mes exemplaires papier ?)"... Mais c'est la sensation qui compte. Et la sensation qu'on vient se servir dans votre frigo et même un plus que ça, elle est extrêmement désagréable. Ceux qui affectent de l'ignorer refusent juste de se mettre à place de l'auteur, ne serait-ce que quinze secondes, pour préserver le confort de leur bonne conscience.
Voilà pour le "fond" qui ne se vend presque plus et qui rapporte des cacahuètes...
Pour le reste, c'est à dire la nouveauté et le "fond qui rapporte encore", c'est plus compliqué. Je pense que les auteurs ont, comme moi, le cul entre deux chaises... D'un côté ça leur fout les boules parce qu'on pirate et donc qu'on vole leur boulot, quoi qu'on en dise, et de l'autre ils n'ont pas envie d'être du côté des censeurs, des liberticides, d'autant que bien souvent, ils connaissant le proverbe africain qui dit à peu près en ces termes qu'avant de monter au cocotier il vaut mieux s'assurer d'avoir le cul propre.
D'autant qu'aujourd'hui, à partir du moment où l'offre légale ne rapporte par un kopeck, le piratage ne "vole" rien en ce sens qu'il n'est pas synonyme de baisse directe et proportionnelle des ventes. Enfin, c'est une affaire de conviction et la mienne est que ce n'est pas le cas.
Ce qu'il induit de "vol" et de non respect du droit d'auteur est en revanche beaucoup plus gênant, sans parler des comportements et des habitudes qu'il entraîne. Le symbole est presque plus fort que l'acte, en quelque sorte, surtout pour ceux qui mettent en ligne.
Quoi qu'on en dise, scanner un livre pour le mettre ensuite à disposition gratuitement, alors qu'on sait qu'on viole la loi et qu'on s'assoit sur le droit d'auteur, sur le droit des gens qui ont sué pour faire ce livre à gagner leur vie, sous les prétextes fallacieux qu'on a lus dans les pages précédentes de ce topic, reste une démarche politique.
Une démarche active, militante, qui a un sens et un sens qui me pose problème.
(A moins que ce ne soit pour se faire un peu de fric par les clics et autres bannières de pub et si c'est ça, ça ne mérite même pas qu'on se fatigue les doigts sur nos claviers pour en parler.)
Mais ce n'est pas en montant sur nos grands chevaux, en jouant les vierges effarouchés ou nous alliant aux censeurs/gendarmes de tout poil qu'on arrivera à quoi que ce soit. Si c'était efficace, ça se saurait depuis longtemps...
Par contre, la communication qui a accompagné la répression, elle n'a pas eu que du mauvais. Elle a plus ou moins obligé tout le monde à se regarder en face et à se positionner. C'est déjà pas mal.
Peut-être faudra-t-il mettre une offre gratuite de qualité pour ramener les habitués de la lecture en ligne sur des sites leur offrant du gratuit ET du (faiblement payant)... Peut-être que le numérique ne rapportera jamais d'argent...
Il y a encore beaucoup à penser, beaucoup à tester... Et même si ça ne va pas assez vite pour satisfaire les plus pressés, les auteurs y réfléchissent, figurez-vous...
En l'état actuel des choses, j'ai tendance à penser que ceux qui lisent en n'ayant de toute façon jamais eu l'intention d'acheter ne me gênent pas puisqu'ils ne changent rien à rien. Et au mieux, certains d'entre eux, une quantité infinitésimale, iront un jour, ô miracle, acheter ou offrir un album lu en version pirate. C'est donc tout bénèf. Et que ceux qui lisent en se disant "j'achèterai si c'est vraiment bien" me lancent un bon challenge à posteriori ou par anticipation. Personne n'a envie de vendre des livres sur un malentendu...
Mais je n'ai pas toujours pensé comme ça... On échange beaucoup, entre auteurs, sur le sujet, et nos positionnements évoluent aussi vite que la matière même de nos échanges.
La seule chose dont je sois complètement sûr, aujourd'hui, c'est que les opthalmos et les opticiens peuvent se frotter les mains...