Quatre jours après l’ouverture de ce post, déjà douze pages, et un premier petit bilan.
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Encore un nouvel album de Gaston... mais cette fois sans André Franquin ?
On a d’abord cru au poisson d’avril, avant de constater que pour le coup, la vénérable maison d’édition Dupuis ne faisait pas dans le gag.
C’est d’abord l’incrédulité, sinon le choc.
On se pince pour savoir si on rêve... ou si on cauchemarde.
25 ans après le décès d’André Franquin, 30 ans après la parution du dernier album de Gaston Lagaffe par son créateur... on s‘était habitué au vide, compensé par d’innombrables rééditions, refontes de collections, et autres intégrales jamais vraiment complètes.
Rêve, ou cauchemar ?
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Les quelques illustrations et les toutes premières planches dévoilées par l’éditeur ne laissent aucune doute.
Delaf est parvenu à proposer quelque chose qui graphiquement tient réellement la route, dès lors que le choix éditorial est de se couler et de se mouler dans un style qui rassure les lecteurs.
Ce n’est pas du Franquin, mais cela y ressemble beaucoup, sans en être.
De ce point de vue, c’est une réussite.
Si pas un petit exploit.
On pourra toujours parler de « copie », de « faussaire », de « plagiat »... ou de « génie », de « talent », de « miracle » : ici, deux camps s’opposent, parfois sans nuance aucune.
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Ensuite vient la mécanique du gag et la construction du scénario.
Le dessin est efficace, mais le reste ?
Globalement, là encore, au vu des quelques pages présentées, le pari est réussi, alors que le défi semblait quasiment impossible à relever.
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Passés la première surprise, le petit choc ou la grand claque, très vite, on est rassuré.
Aussi bien côté dessin que côté scénario.
C’est (plutôt) convaincant, et prometteur : Gaston n’est ni dénaturé, ni affadi.
De ce qu’on en voit, les choses ont été faites intelligemment et avec humilité.
Delaf connaît très bien la série, il l’a lue et relue, il l’aime, il l’a finement comprise, il a pris le temps de s’en imprégner et à force d’un travail conséquent, il se hisse à un niveau que bien peu d’auteurs auraient pu atteindre.
L’esprit de la série est respecté, le fond et la forme correspondent à ce à quoi nous sommes habitués, même si ce ne sera jamais « pareil » - ce ne sera évidemment jamais du Franquin.
Point extrêmement positif : la catastrophe et l’accident industriel ont été évités, on a échappé à une reprise désastreuse, mal conçue, mal pensée, mal réalisée. C’est déjà un énorme soulagement.
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Bien sûr, il faudra encore du temps pour accepter l’idée que...
De nombreux intervenants du forum ont très vite accepté la reprise (« c’est un album que j’achèterai et que je lirai avec plaisir ») ; d’autres n’y adhèrent pas du tout (« ce sera sans moi »)... pour le moment, du moins ; plusieurs s’y sont farouchement opposés ou disent ne pas voir là « d’intérêt » autre que « commercial ».
Quoi qu’il en soit, chacun s’accordera à dire que l’exercice était très délicat, extrêmement périlleux, et manifestement Delaf a su éviter de nombreux écueils, qu’on peut essayer de lister.
Plusieurs questions se posent, et ont été posées ici ces jours-ci.
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Quand ?
La question de la temporalité est cruciale.
Où se situent les gags de Gaston dessinés par Delaf ?
Probablement dans une des meilleures périodes de la série originelle.
Au cœur d’un certain âge d’or.
Ni trop tôt, ni trop tard.
Et Delaf a tout intérêt à ne pas trop préciser ni figer les choses.
On est quelque part entre 1965 et 1985, en gros.
Avec une nette préférence pour les années 1970.
Cela plaît, ou cela ne plaît pas à tel ou tel.
Mais le grand public s’y retrouve.
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Qui ? Quoi ?
Faut-il faire intervenir tous les personnages de la série ?
En introduire de nouveaux ? Lesquels et comment ?
Peut-on brasser tous les thèmes abordés par Franquin, quand bien même ne parleraient-ils plus aux jeunes lecteurs des années 2020 ?
On a sur ces pages évoqué la question des fils rétractables des aspirateurs, celle des téléphones, celle des parcmètres...
Et on voit combien les évolutions techniques dépendent des contraintes temporelles.
Là encore, les choix sont pragmatiques : il faut être cohérent, et que les lecteurs adhèrent.
Les albums sont faits pour être vendus, personne ne l’oublie.
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Et demain ?
Techniquement, Delaf a chopé le truc au niveau du dessin, et très peu d’inquiétudes ont été exprimées quand à un effondrement de qualité, de ce côté-là, à court terme.
Côté scénario, c’est autre chose.
Delaf va-t-il assumer les scénarii et le dessin, en imaginant, en réalisant, en enchaînant seul des dizaines de gags d’une exigence aussi lourde ?
Est-ce qu’un scénariste va le seconder ?
Est-ce que les gags ne vont pas très vite faiblir ?
La série est très riche en potentiel. Mais comment maintenir à moyen terme la qualité des gags ?
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Pour Gaston, Delaf travaille-t‘il entièrement et uniquement sur palette graphique ?
Les « accusations » de « plagiat » (qu’elles soient ou non pertinentes ou fondées) n’auraient peut-être alors pas tout à fait la même portée, pour des esprits très malveillants.
Quant aux expositions-ventes des planches originales, ce sera tintin.
Restent les NFT.
Et les dédicaces ?
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Quelle sera la maquette retenue au final par l’éditeur ?
Celle de l’édition classique ?
Quelle sera la numérotation ?
Est-ce qu’il y aura, est-ce qu’ « il n’y aura jamais d’album Gaston n° 5 » signé Delaf ?
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La question de l’opportunité de reprendre la série a été soulevée.
11 a
Interrogé à ce sujet, André Franquin a déclaré qu’il aurait autant aimé que son personnage de Gaston ne soit pas repris.
Jamais satisfait de son propre travail - même quand celui-ci était d'une absolue perfection - comment ce créateur de génie pouvait-il confier sans crainte ce travail à d’autres ?
Par ailleurs, il était bien placé pour savoir que cela pouvait devenir très douloureux. Quoi qu’ayant eu le contrôle sur le DA des Tifous, dans lequel il s’était longuement et énormément investi sur le plan artistique, il avait été profondément déçu et même meurtri par le résultat obtenu.
Dès lors, comment s’assurer qu’on ne ferait pas n’importe quoi avec Gaston, une fois
ad patres ?
Les réticences auraient-elles été levées face à des garanties de qualité ?
11 b
Franquin s’est-il farouchement opposé, oralement puis par écrit, à une reprise ?
S’opposer formellement, et le déclarer spontanément, puis border cela légalement,
ce n’est pas la même chose que de répondre à une question au détour d’un entretien, en disant qu’on préfère que ça ne se fasse pas, mais qu’après tout...
11 c
Les droits ont été cédés.
L’auteur savait ce qu’il faisait en cédant ses droits sur la série.
Dès lors...
11 d
On nous a annoncé dès le 17 mars qu’Isabelle Franquin avait appris ce projet il y a quatre mois seulement.
Et qu’elle n’y aurait pas donné son accord, pour le moment. On a même prétendu qu’elle s’y opposerait.
C’est là un élément un peu ambigu, à un moment où nous ne sommes que dans l’amorce de toute la communication qui sera orchestrée autour de la sortie de l’album.
La question n’est pas à négliger et sera à suivre.
11 e
Franquin a toujours dit qu’il aurait voulu atteindre 1000 gags de Gaston, et qu’il regrettait de ne pas avoir pu offrir 1000 pages de son personnage fétiche à ses lecteurs.
Est-ce que Delaf ne pourrait pas exaucer cette volonté, et consoler bien du monde ?
11 f
La notoriété de Gaston était en chute, auprès des jeunes générations.
Fallait-il laisser la série s’effacer, ou lui laisser une chance de faire rire encore et encore quantité de nouveaux lecteurs ?
Quand on constate que les qualités et l’élégance de Modeste et Pompon n’ont pas suffi à ce que ces personnages de Franquin survivent ailleurs que dans la mémoire d’une poignée d’ « anciens »...
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Le tirage annoncé par l’éditeur a fait couler beaucoup d’encre.
1 200 000 exemplaires...
On a parlé de « bluff » destiné à faire le « buzz ».
L’album ne sortira pas avant octobre, au mieux.
L’éditeur pourra toujours adapter le tirage aux retours enthousiastes ou mitigés de la publication hebdomadaire des gags dans le Journal de Spirou (à partir du 6 avril).
Il sera toujours possible de revoir ce chiffre à la baisse, par exemple en invoquant la pénurie de papier, ou un contexte éditorial incertain.
1 200 000 exemplaires ? Gaston les vaut bien, non ?
Quoi qu’on en pense, la sortie de cet album sera attendue.
Les Editions Dupuis fêtent leur centenaire, et on se prend à rêver d’événements hors du commun.
Wait and see...
Voilà, je n’ai pas voulu être exhaustif, et personne n’est obligé de lire ce pavé, fort heureusement.
Je me suis contenté de résumer et d’organiser un peu les principales pistes de réflexions des précédentes pages, en espérant humblement que cela pourra aider quelques lecteurs de ce forum, et des amateurs de Gaston.
Bonne journée !