Je peux apporter ma pierre à l'édifice ?
C'est à propos de la difficulté de dessiner, tout ça. Je vais commencer par un p'tit conte coréen, et après, je développe un peu (mais pas beaucoup, parce que ce conte illustre parfaitement mon propos, c'est pour ça que je l'aime bien) :
Le dragon bleu et le dragon jaune
Au pays du matin calme, l’empereur Tchang s’apprêtait à fêter le vingtième anniversaire de son couronnement. A cette occasion, il décida de faire peindre le plus beau des paravents pour orner la grande salle du palais. Il fit venir le meilleur peintre du pays qui habitait dans une caverne loin de la ville, et il lui dit :
- Je désire que tu peignes sur ce paravent deux dragons, un bleu et un jaune, pour symboliser la puissance de mon pays.
Le peintre s’inclina et répondit :
- Majesté ! Je peindrai avec plaisir ces deux dragons, mais il me faut de la soie d’une extrême finesse. En attendant qu’elle soit filée, je vais me retirer dans ma caverne pour me préparer.
Aussitôt, l’empereur donna l’ordre de fabriquer la soie la plus fine. Mais ce fut bien plus long qu’il ne l’avait pensé. Il fallut élever des vers à soie d’une espèce très particulière. Ils exigeaient une nourriture délicate : des fines feuilles de mûrier difficiles à trouver.
Enfin lorsque la soie fut filée, il fallut la tisser. On ne trouva qu’un seul tisserand capable de le faire : c’était un vieil homme, le meilleur artisan du pays. Il mit des années à tisser la soie. Quand le tissage fut terminé, l’empereur demanda à un messager d’aller chercher le peintre. Mais l’artiste n’était pas encore prêt, et il pria l’empereur de patienter. L’empereur fut déçu, car il avait déjà patienté longtemps. Il comprit que le peintre préparait un chef d’œuvre, et il attendit. Mais un an plus tard, il perdit patience et envoya à nouveau un messager.
- Je ne suis pas prêt, dit le peintre, je dois encore travailler.
Et l’empereur Tchang fut bien obligé d’attendre.
Des mois passèrent, et le peintre ne donnait pas de nouvelles. Chaque fois que l’empereur regardait son paravent, il sentait sa colère monter. Un jour, à bout de patience, il demanda au messager de ramener le peintre de gré ou de force. Le peintre accepta de venir au palais car il était enfin prêt. L’empereur fut bouleversé de joie. L’artiste prit deux longs pinceaux et s’approcha du paravent. D’un coup de pinceau, le peintre traça un trait jaune. D’une autre coup de pinceau, il traça un trait bleu. Puis il posa ses pinceau et dit : - J’ai terminé.
On annonça la nouvelle à l’empereur qui se précipita pour admirer l’œuvre du grand peintre.
Quand il vit le paravent, il entra dans une forte colère et il cria :
- Tu t’es moqué de moi, tu as gâché ma soie merveilleuse !
Le peintre lui répondit calmement :
- Majesté, ces deux traits sont le résultat d’une très longue recherche.
Puis il s’inclina et voulut s’en aller. Mais l’empereur, furieux, appela ses gardes :
- Qu’on arrête cet homme, et qu’on le jette en prison.
Et le peintre fut aussitôt emmené. Pendant la nuit, l’empereur fut incapable de dormir. Dans l’ombre, les deux traits, le bleu et le jaune, passaient et repassaient devant ses yeux. A son grand étonnement, ces deux traits devenaient des dragons souples et puissants, qui luttaient, ils semblaient vivre. Et l’empereur voyait tout cela dans les deux traits du peintre. Après cette nuit mouvementée, l’empereur voulut découvrir le secret de l’artiste.
A l’aube, il partit pour la caverne où le peintre avait travaillé si longtemps avant de peindre les dragons. En entrant, il alluma une torche et vit deux dragons peints sur les parois de la caverne. L’un était bleu, l’autre était jaune. L’artiste les avait dessinés avec la plus grande exactitude, aucun détail ne manquait.
L’empereur avança dans la caverne, et il poussa un cri : toutes les parois étaient couvertes de dragons. Le peintre avait travaillé pendant des années. A chaque nouvelle peinture, il avait simplifié le dessin des dragons. Enfin, l’artiste en était arrivé à tracer deux traits, l’un bleu, l’autre jaune, comme ceux du paravent.
L’empereur ne pouvait s’empêcher d’admirer cet énorme travail. Il comprit que cette dernière peinture était la plus forte parce que, dans sa simplicité, elle contenait toutes les autres. Il rentra immédiatement au palais. Il fit libérer le peintre, et il ordonna une grande fête en son honneur.
Bref, tout ça pour dire que styliser, faire un cheval en 3 traits, c'est pas plus simple que de dessiner le cheval anatomiquement juste. Encore faut-il savoir où les placer, les 3 traits...
Après, il se murmure dans les milieux autorisés que certains pourraient apprécier autant un Reiser qu'un Guarnido, mais pas pour les mêmes raisons...