Ton exemple sur le cas de Laurel, est à mon sens un mauvais exemple car tu pars d’un cas quasi unique pour en faire une généralité. Elle est la seule à ma connaissance à avoir ramassé plus de 200 000 euros pour une BD. De plus son succès s’explique aussi par sa forte présence sur le net depuis des années, donc avec un public déjà acquit à sa cause. Dans ces conditions, c’était déjà plus simple ce qui n’est pas le cas de nombreuses personnes qui s’essaient au crowdfunding sans succès.
Mais là où à ca prête le plus à caution c’est quand tu dis:
Ah, la magie d’Internet… prenez un auteur « modeste », penchez quelques bonnes fées sur son berceau, dépassez les objectifs d’un projet decrowdfunding, et hop ! La visibilitée boostée, les éditeurs qui viennent chercher cette pépite qu’ils avaient jusqu’ici ignorée, bref, le tournant professionnel.
Il y aurait là de quoi sourire, si ce portrait idyllique ne perpétuait, en substance, la position centrale de l’éditeur — alors même que la démarche de Laurel (déjà publiée par ailleurs, avec une dizaine d’albums à son nom) vient à prouver, de bout en bout, combien il est dispensable
Si Laurel est passée par le système de financement participatif c’est uniquement parce qu’elle a estimé que ce que lui proposaient les éditeurs était indigne de son travail. Je la cite (dixit)
« Il faut changer d'optique, les éditeurs, c'est du passé, les gars... ils scient la branche sur laquelle ils sont assis.
Je n'ai contacté aucun éditeur, 6 sont venus vers moi.
La proposition la plus haute m'a été faite par Delcourt: 8000 euros pour 500 pages (soit 3 ans de boulot). 220 euros par mois. Wouhou!
Impossible de faire autrement que de passer par le financement participatif. Inutile d'essayer de négocier quand le prix proposé au départ est une insulte. À moins de n'avoir aucun respect pour son propre travail. »Ce qui veut dire que si un éditeur lui avait proposé quelque chose qu’elle estime déçent, elle ne serait jamais passée par le crowdfunding.
De l’auteur au lecteur, sans intermédiaire, et dans un échange résolument gagnant-gagnant
.
Sauf que ce n’est pas valable pour tout le monde et ça marche en général mieux pour des auteurs ayant déjà publiés chez des éditeurs classiques avant, donc déjà connus du public. Suffit de voir aussi le cas de Fernandez comme cas à succès, et le reste de la masse qui le plus souvent peine à trouver son financement ou se prend un rateau.
Sans parler de l’impact psychologique auprès du lecteur. Un inconnu qui fait la même chose, aura certainement moins de succès, car on le considérera à juste titre comme un amateur même si le produit proposé est de qualité professionnelle. A l’inverse, quand un(e) auteur déjà publié chez des éditeurs, se lance dans le crowdfunding, la logique des lecteurs est différente.
Dans le cas d’un auteur inconnu, il y a une méfiance naturelle à son encontre ; Qui est il/elle ? Mérite t il/Elle que je le soutienne, etc… On relativise beaucoup plus son travail qu’un auteur ayant déjà publié. De ce fait, quand Laurel ou Fernandez se lancent dans le crowdfunding, la logique du lecteur est plus « ouais, il a raison, il faut que le fruit de son travail lui revienne, je vais le soutenir ». On est déjà plus dans la même logique. Ce qui me fait penser que le crowdfunding est un outil réellement efficace pour des auteurs qui ont déjà de l’expérience dans le circuit conventionnel, que le gars qui dessine tout seul dans le coin de sa chambre.
Ce qui relativise grandement le côté « l’éditeur devient dispensable ». Parce que le paradoxe, comme expliqué, est que le crowdfunding marche généralement mieux pour des auteurs venant du système et pas pour ceux qui commencent directement par le crowdfunding. De plus, même la notoriété n’aide pas forcément. Suffit de voir les difficultés rencontrées par Ridel et Cauvin pour financer leur BD ou encore le rateau que se sont prix Jean Léturgie et Simon Léturgie pour financer leur BD en crowdfunding. (Pourtant pas des amateurs, et tous avec un "passif BD" bien plus grand que Laurel)
Enfin, on pourrait dire que c'est une bonne option si cela marchait dans la pérénnité. Le cas de Laurel est peut être aussi un coup de bol, au mieux un succès mérité mais arrivera t elle a reproduire l'exploit si elle re proposait une autre BD? J'en doute. Son succès vient aussi de la nature du projet (c'est
Dallas version Laurel) et du fait que c'était son premier essai avec un public déjà existant. Arrivera t elle a vendre avec autant de succès ses prochains albums par le crowdfunding, surtout ci ceux ci sont dans la même veine que ces albums publiés chez ses éditeurs conventionnels? Pas sûr.
C’est donc tirer des conclusions plus que hâtives dans ton article, sur quelque chose qui se veut une « réflexion » alors que nous sommes tout au plus, dans le constat d’un exemple qui ne permet pas d’affirmer que l’éditeur est dispensable et que le crowdfunding est la solution miracle pour les auteurs même si elle a un potentiel certain. Ca me semble encore beaucoup trop tôt pour une telle affirmation . Pour preuve, que je sache, tous les auteurs de BD ne se ruent pas vers le crowdfunding malgré le succès de quelques confrères.
(Et soit dit en passant, avant d'avoir la prétention "d'élever le contenu des discussions" et de faire " de la pédagogie", il serait bon d'avoir une réflexion digne de ce nom avant de faire la leçon aux autres)