Hmmm. Étant un lecteur eclusivement de VO, j'étais particulièrement intéressé de lire vos avis sur une des oeuvres fondatrice de ma bédéphilie.
Comme tout un chacun, j'ai grandi avec le franco-belge, un peu de 2000 AD traduit, un peu de Dark Horse du début, et un tout petit peu de super héro de base... Le vrai tournant, ça a été de découvrir simultanément Sandman, Hellblazer et Shade The Changing Man, le tout pendant des vacances à l'étranger en 1991 ou 92... Toujours est-il que revenu à Paris, je découvre les librairies de comics, et après avoir chopé tout les recueils que je pouvais (Sandman1-4 (CAD jusqu'à Season Of Mist), Hellblazer 1 (les 9 premiers numéros) ), je me lance dans les mensuels au meilleur moment : juste avant les débuts de Vertigo!
Le problème, c'est que le peu que j'ai lu de Shade m'a scotché, et qu'il n'existe aucun recueil. J'achète tout de même la série et entreprend ma première vrai quête de back issues dans une France pas encore connectée, un travail qui me prendra quelques longues années. Aujourd'hui, Shade est probablement ma série préférée de la BD anglo saxonne (malgré l'énorme coup de mou #51-53), sans doute la plus française des série "British invasion" (les scénaristes de 2000AD engagés par Karen Berger et Lou Stathis). Mais Vertigo étant dès le déut un label très ambitieux, nous auront droit à plein de séries et histoires encore obscures, et certainement le meilleur de bien de ces auteurs.
Si je mentionne Lou Stathis, c'est car il est aujourd'hui trop souvent complètement oublié de la grande histoire de Vertigo : il bossait comme DA pour Heavy Metal et Epic, puis, il fut angagé par Disney pour développer un label de comics adulte, et avant que le projet ne sot avorté, Enigma faisait partie des séries commandées par Lou. Karen n'allait pas laissé ce talent dans le désert, bien consciente du superbe portfolio de projets qu'il amenait avec lui.
Alors Enigma, c'est ma seconde exposition à Milligan (enfin la troisième, car j'avais lu Skreemer avant, sans faire attention aux crédits), et ce fut une sacrée claque, autant visuelle que structurelle : alors que les débuts d'Image prennent toute a place ou presque, ce type de comics est une sorte d'acte de défiance, un manifeste aussi bien esthétique que philosophique. Vertigo sera la suite de Epic, mais écrite par des punks anglais ayant lu Sartre, Lovecraft et Superman.
Franchement, découvrir Enigma dans les années 2010, je peux comprendre qu'on puisse passer à côté, tant les enjeux alors à fleur de peau sont aujourd'hui devenu des choses acceptées, presque balisées. Fegredo est alors presque un débutant, tout juste auteur de quelques strips pour 2000AD, et s'étant vu commander une mini série peinte, de 3 prestige format (alors qu'il n'avait jusqu'alors jamais utilisé la couleur!), écrite par un Morrison en pleine crise de je fais du bizarre pour me faire une street cred, balançant des références jusqu'à la saturation. Bref, Enigma constitue donc presque une récréation pour Fegredo, l'occasion de mettre sa technique à plat pour envisager l'avenir, un work in progress qui justifie les espoirs que ses éditeurs avaient perçu chez le jeune artiste pas encore familier avec le rythme de parution et donc de production qu'exige le boulot aux USA.
Mais il s'accroche, et la série est suffisamment originale et bien fichue qu'elle décroche des nominations pour des prix, et bénéficie largement de la vague d'engouement autour de Vertigo, générée par le succès de Sandman.
Tout ça pour dire que je ne comprends pas bien pourquoi opposer Gaiman et Milligan, clairement tout deux passionnés par l'objet littéraire et la Mythologie, bien plus que ce bluffeur de Momo (jamais aussi bon que dans la simplicité : Sebastian O, The Mystery Play, The Filth, voir ses X-Men...), et c'est là que je me permet de donner une petite liste de lecture en parrallèle à celle esquissée par Corbullon :
Gaiman : s'il est vrai qu'en dehors de Sandman/Death il est difficile de trouver une oeuvre aussi puissante, je pense que ce qu'il à fait sur Miracleman est du même niveau, tout comme une courte histoire autour de Michael Moorcock. Dans ses GN originales, Signal To Noise est pour moi indispensable, et je ne m'interdit pas d'un jour trouver Mr Punch du même niveau. Mais c'est vrai que son Batman, ses Eternals, son Green Lantern, ce sont plutôt des exercices de style que de franches réussites. 1602 offre un charmant jeu de piste, mais rien de fou.
Pour ce qui concerne l'auteur dont il est question dans ce topic, c'est plus complexe. je tiens à préciser que j'ai tout lu et acheter ce qu'il à fait depuis le début de sa carrière, jusqu'à quelques rares récentes omissions (Brittania après le premier numéro, Legion, The Prisonner, Dan Dare... Bref, je suis peut-être en train de lâcher l'affaire en fait...). Si l'on se penche sur sa carrière pré-US, Johnny Nemo est une réjouissante série de SF/detective/psyché, barrée, fun, et racontant de vraies histoires, mais ça reste un produit de son époque, les glorieuses 80ies post Judge Dredd... Il y aussi la sympathique Bad Company, une sorte de Douze Salopards/Apocalypse Now:Universal Soldier, chouette mais très datée.
Hormis quelques numéros pour Batman assez anecdotiques, c'est véritablement avec Skreemer que débute sa carrière, une mini en 6 numéros (Parue chez USA comics il me semble), une sorte de relecture post Apo/Blade Runner du Parrain de Coppola. C'est très très fort, sombre, et une des meilleures porte d'entrée pour lire Mililgan. À partir de là, iil va enchainé une petite décennie de succès tout azymuth :
- Les 60 numéros de Shade sont une oeuvre totale, unique, le meilleur homage/trahison que Ditko pouvait recevoir. 5Il faut savoir que quasiment toutes les ongoing Vertigo sont plus ou moins basée sur de vieux personnages DC, même Scalped ou AMerican Vampire! Momo est celui qui échappe le plus à la règle)
- Enigma
- Face, un one shot avec Fegredo, une histoire tellement forte et astucieuse, un huit clos horrifique autour de l'art et de la chirurgie esthétique qui sera forcément un jour adapté au ciné.
- The Extremist, super mini série autour du sado masochisme, merveilleusement illustré par ce génie qu'est Ted McKeever
- The Eaters, une super petite histoire de cannibale jadis traduite en album, dessinée par le collaborateur de Lemire sur Black Hammer, un Dean Ormston au top.
- Plein de petites histoires courtes dans diverses anthologies Vertigo, un format dans lequel Milligan excelle, super auteur de twist endings.
Durant cette période bénie, il y a tout de même quelques accidents de parcours mémorables : une ongoing Elektra figurant parmis ce que l'univers des comics à de pire à offrir, un run très anecdotique sur Animal Man, quelques rééditions du passé un peu trop expérimentales ou datées (Rogan Gosh!)...
Et puis... la source se tarit : Chez Vertigo, la série Egypt démarre bien, mais ne sait pas vraiment ou elle va, et le graphisme se déteriore de numéro en numéro. L'ongoing The Minx se révèle d'un ésotérisme quasi abscons, le premier gros échec de l'auteur, avant de presque se griller avec Greek Street. Ces séries ne sont pas atroces, mais le plaisir semble avoir disparu.
Human Target fait sympathiqueent illusion, mais on est loin de la folle ambition des débuts.
Heureusement, seul auteur UK majeur à ne jamais s'être vu confié le moindre numéro d'Hellblazer (hormis un court crossover avec Shade), il aura l'honneur de conclure la série d'un run de 50+ numéros qui rendra son lustre à un titre qui bafouillait depuis le départ de Carey, faisant de lui un des vrais classiques du titre (avec Delano, Jenkins, et dans une moindre mesure Ennis).
Il y a aussi le mémorable chapitre X-Force, sommet créatif du Marvel de Quesada, mais depuis la fin des années 90, il faut être honnête que les échecs sont plus nombreux. On sent souvent que Milligan bosse parce qu'il doit manger : dans les interviews promos, il parle avec conviction et éloquence de ses nouveaux projets et ambitions, mais le résultat fait pâle figure face aux chefs d'oeuvre du passé : Terminal Man, X-Men, Shadowman, Nu 52, Britannia, Infinity Inc, New Romancer, 5 Ronins, Dan Dare, The Prisoner, 2 Man Army, et bien d'autres, c'est soit anecdotique soit carrément mauvais!
Alors il y a plein d'autres petites choses à droite à gauche depuis le début jusqu'à aujourd'hui, et je recommanderais tout de même quelques titres anecdotiques mais vraiment bons :
- la mini série Namor (Sub Mariner), une superbe variation aquatique d'un film d'horreur à la Carpenter (et puis c'est magnifique, dessin de Ribic!)
- Spider-Man's Tangled Web #5-6: "Flowers for Rhino", avec Fegredo, la meilleure histoire jamais écrite sur cet ennemi de Spidey, très touchante
- Batman Scarecrow, encore avec Fegredo.
J'espère me tromper mais je pense tout de même qu'on ne verra plus rien de formidable de sa part (je n'ai pas encore lu ses récentes séries pour Image).
Il semble qu'il en soit de même pour Jamie Delano, autre scénariste UK disparu des radars après quelques histoires pour Avatar. Mais lui il mérite un sujet à lui tout seul, car je nai pas souvenir de comics mauvais de sa part, tout ce qu'il touche est au pire "intéressant", mais souvent très sombre, voir déprimant (c'est l'auteur du run initial de Hellblazer, adoubé par Moore, et sans doutes le meilleur!)
Bon, je suis parti un peu dans tout les sens, désolé, mais il reste bien des choses à découvrir pour le public français, mais inutile de se flagéller : je ne suis pas sûr que les allemands, espagnols, suédois, italiens, etc soient mieux lotis...
PS : À oui, Brubaker est un génie, et sa série Vertigo Deadenders en témoignait déjà largement