très bien vu gill l'histoire de la symbolisation. Je pense que tu es dans le vrai.
J'aurai aimé reprendre la discussion de Coldo sur le fichage des élèves, mais dans des termes plus raisonnables, moins passionnés.
Avant 2003, les seules fiches qu'on demandait aux élèves étaient les fameuses fiches de rentrée que chaque prof demandait aux élèves, plus ou moins exhaustives, celles que nous avons tous remplies et que nous trouvions parfois indélicates voire inutiles.
Je vous propose la lecture d'un excellent article de Pierre Merle, sociologue, qui analyse cette pratique.http://www.persee.fr/web/revues/home/pr ... _35_4_4355j'en parlais déjà en 2007 ici:
post1442917.html?hilit=merle#p1442917ju2959 a écrit:Je rebondis là dessus parce qu'il y a des effets comme le dit si bien Cynic Kike.
Je vais être hors sujet, mais bon, vu que l'éducation semble vous intéresser, autant que je participe.
Pierre Merle, Sociologue de l'éducation a publié une recherche très aboutie, dont je ne me rappelle pas le titre évidemment, concernant l'avenir scolaire d'une classe, d'un élève selon ce qu'on en a dit d'elle ou de lui.
Selon lui, et selon l'analyse des résultats de son expérience, si un prof prend une classe à la rentrée et qu'on lui a dit, "tu vas voir, ils bossent pas, ils sont nuls", ce prof va en arriver au même constat. (inutile de vous dire que cette expérience a été menée avec une classe témoin, plutôt forte). Edifiant! On en arrive à la conclusion que l'évaluation qui se veut objective est en réalité fortement influencée par l'a-priori que le prof a du groupe qui lui a été confié.
Deuxième expérience menée, celle-ci en fin de troisième et en fin de seconde, concerne l'orientation des élèves. Ici il a été question de vérifier qu'à niveau égal, les élèves ne pouvaient prétendre aux mêmes filières. (Toujours pareil, élèves témoin etc.) Ce qui se passe est que si deux élèves ont les mêmes notes, l'un appartenant à un milieu favorisé, l'autré étant plutôt dans un milieu difficile, et ayant les mêmes difficultés (disons 10 en maths ou 10 en français), au moment de l'orientation de ces 2 élèves, celui qui vit dans un milieu favorisé pourra accéder à la 1ère S ou à la 1ère L, l'autre sera éconduit vers une 1ère ES ou STT ou vers un redoublement. Quand P. Merle interroge les enseignants sur ces décisions inconscientes, il apparaît que les enseignants imaginent que les ressources familiiales permettront davantage au plus aisé des 2 de "remonter la pente". Evidemment ceci n'est pas un procédé volontaire, ou alors il serait scandaleux.
Je conclue ce passage ici au bistrot en vous donnant l'objet de sa recherche: les fiches de renseignements que nos/vos enfants donnent chaque année à leurs profs en guise de présentation.
Au bilan, si vous êtes d'un milieu aisé, culturellement reconnu, dites à vos enfants de remplir ces fiches, sinon, dites leur de mentir!
Ses conclusions sont que ces fiches servent
1: au prof de se mettre en valeur lors de conseils de classe....en démontrant au chef présent à ces réunions qu'il connaît bien son élève.
2: à trier les élèves selon des potentiels présupposés en lien avec les conditions sociales des parents (à renforcer les inégalités sociales et à les reproduire).
Un exemple: 2 élèves de même niveau en maths physique svt, aux alentours de 12 ou 13 en seconde.Au moment du conseil de classe qui décidera de leur orientation vers la 1ère S, de manière totalement inconsciente, les profs vont préjuger du potentiel de réussite de l'un par rapport à l'autre ...selon ce qui est écrit sur la fiche de rentrée. Le fils de chômeur "aura du mal à progresser en maths" parce que ses parents "n'ont pas le bagage culturel" qui pourrait l'aider. On lui proposera un redoublement ou une autre orientation "à sa portée" alors que nous ferons le pari que le fils de médecin réussira parce qu'à la maison il trouvera les ressources pour progresser, et il aura accès à cette filière. (Faut que je précise, c'est un exemple, la S pour moi n'a pas plus de valeur que l'ES, la L...,le fils de médecin est aussi un exemple, ç'aurait pu être un fils d'avocat, de prof...)
Pour l'instant, ce que j'essaie d'expliquer (et dont je n'ai pas la paternité) n'est pas dans le sujet, le fichage institutionnel.
Jusqu'à présent, le fichage était presque systématique, à l'initiative des enseignants et ils en étaient les seuls utilisateurs.( Je juge cette pratique négative pour les raisons de reproduction sociale des inégalités). Pour autant, ces enseignants demandaient
des renseignements privés de l'ordre de la profession des parents, des loisirs de l'élève... et sur cette base, on reproduisait déjà des inégalités.
Aujourd'hui le fichage est institutionnel, massif, et les critères sont parfois ahurissants, de l'ordre du
privé, de l'intime. (je rappelle que le projet initial de "Base élèves" comprenait des champs supplémentaires: la nationalité, la date d'entrée sur le territoire, la langue parlée à la maison et la culture d'origine. Ces entrées ont été supprimées par le ministère de l'Education suite aux levées de bouclier).
Dès lors il est
difficilement acceptable d'appliquer ce fichage quand on a conscience des dérives qu'il peut provoquer, notamment de ségrégation sociale. Je reprends mon élève de seconde fils de chômeur, un peu limite pour aller en 1ère S....le conseil de classe ne lui donnera pas les mêmes chances d'accès à cette section qu'au fils de médecin d'abord parce qu'il est fils de chômeur, mais ensuite parce qu'on aura bien noté que son père bat sa mère et qu'il y a 4 frères et soeur en bas âge.
On peut dire aussi que j'exagère...toujours est-il que ce qu'
on reproche massivement à l'école, c'est de ne pas réduire les inégalités. Il me parâit donc paradoxal de demander plus d'égalité et en même temps de prendre n'importe quel renseignement pour "connaître l'élève". J'estime ne pas avoir besoin de connaître la vie privée des parents pour orienter les élèves par exemple. Et il ne faut pas faire comme si c'était anodin: certaines filières très élitistes sont presque fermées aux "fils de pauvres" (entendez socialement, culturellement, financièrement en bas de l'échelle, y a pas de jugement, bien au contraire), d'où l'absence de ces classes sociales en fac de médecine, à l'ENA, à l'X...même s'il y a toujours quelques exceptions (qui sont notre fierté et notre raison d'aller bosser!)
exemples de dérives:
http://tempsreel.nouvelobs.com/societe/ ... gales.htmlAutre truc intéressant: nos penseurs ficheurs sont aussi ceux qui en 2006 pensaient que la délinquance était DANS UNE CERTAINE MESURE "génétique". On comprend alors que ce fichage n'est peut être pas aussi innocent que cela.
http://www.agoravox.fr/actualites/socie ... isme-22165