timi39 a écrit:ahah me voilà ici par curiosité.
La meilleure raison qui soit.
timi39 a écrit:et sur quoi je tombe... jimbo sur DKR
Fatalement.
J'ai écrit
un bouquin sur Miller, faut dire, aussi.
timi39 a écrit:et même pas ca m'étonne que tu ais apprécié, parce que moi au même titre que fox, pas du tout.
Ça peut arriver.
À moi de vous convaincre du contraire.
timi39 a écrit:bon du coup j'ai lu ton argumentaire comme toujours intéressant. mais j'ai du mal à adhérer, après je pense que j'ai un niveau de lecture/compression/critique à des lieux en dessous du tiens, je n'ai ni l'expérience ni la culture. je ne cherche pas a comprendre, et je ne vois de toute façon pas toutes ces symboliques, ce travail de recherche graphique brut etc...
L'expérience et la culture, ça vient avec les années.
En revanche, ne pas chercher à comprendre, c'est pas bien !
L'aspect graphique, il est "simple" : le
Dark Knight est raconté à base d'un gaufrier de seize cases, quatre bandes de quatre cases chacune. Chaque planche est une variation, avec des cases qui s'agglutinent pour en former des plus grandes.
(J'en mets une pour montrer à ceux qui connaissent pas)
Sur le principe, Miller fonctionne comme Moore et Gibbons pour
Watchmen (encore une BD extraordinaire mais qu'il faudrait que tu lises après avoir goûté à plein d'autres trucs), qui utilisent un gaufrier de neuf cases (trois bandes de trois cases).
On peut gloser sur le pourquoi, dire que c'est la restitution BD des façades de gratte-ciel ou la reprise des plans des villes avec leurs rues parallèles, n'empêchent que
Dark Knight ou
Watchmen font, avec cet exercice imposé, un truc qui n'est pas possible dans un autre média. Comme disait quelqu'un hier ou avant hier, Miller pense la planche BD comme un tout, pas comme une succession de cases.
Ce qui occasionne des séquences incroyables, une espèce de force, de rythme hallucinant. Les pleines pages arrivent là-dedans avec la force d'un train lancé à fond.
Personnellement, ce que j'aime dans les
comics, c'est le rapport à la forme, à la figure de style. Je ne trouve pas ça autant dans le franco-belge, mais c'est un peu normal : les
comics, c'est 22 planches par mois, donc ils peuvent se permettre de faire un épisode muet, ou un épisode en pleines pages, ou un épisode en gaufrier, ça passe mieux.
Au-delà de ça, j'aime aussi quand les super-héros nous parlent du monde (j'ai une liste longue comme le bras d'épisodes où Green Arrow songe à une carrière politique, où Iron Man se penche sur le problème de la violence à l'école, où les Vengeurs abordent le sujet des femmes battues).
Si en plus, certaines BD allient les deux, à savoir une forme super maîtrisée et un fond provoquant et réfléchi, j'adore. Genre,
Authority, qui parle de politique, de religion, de terrorisme, et qui utilise une forme "cinémascope" avec des cases élargies, bref, qui tient un discours ambitieux et profite du langage BD, j'adore.
Pour en revenir au
Dark Knight, un autre truc épatant, c'est la voix off. La systématisation de l'accès aux pensées de Batman, une pensée syncopée, déstructurée, malmenée par l'action, les bagarres, la fatigue. L'écriture en elle-même est super forte, percutante, à base de phrases courtes, de one-liners. Mais le lettrage aussi est fort, avec des blocs de textes disposés en chapelets, certains sortant de la case en jouant sur le blanc de la page. Ça crée un rythme assez sensationnel. Et là encore, c'était nouveau, surtout systématisé comme ça. Ça avait impressionné la critique de l'époque. Quelqu'un des
Cahiers de la BD (Groensteen ? Smolderen ?) avait appelé ça "la boîte noire des super-héros", qui nous permettait d'accéder à leurs états d'âmes.
Reste enfin un dessin incroyable, avec une force dans l'anatomie, dans la stature, sans chercher à faire joli, qui m'inpressionne. Miller dit toujours qu'il ne veut pas faire joli, il veut faire beau. Et la beauté de ses personnages vient de leur grandeur, de leur caractère "plus grand que nature". Ils en sont presque inhumains, d'ailleurs, ou surhumains, ce qui revient un peu au même.
L'une des images qui m'épatent le plus, dans
Dark Knight, c'est ça :
Un aplat noir, autrement dit aucun volume, aucun modelé, aucun drapé, aucune profondeur, et pourtant, tout est là. Magnifique.
timi39 a écrit:moi tout ce que j'ai vu, c'est un dessin qui ne m'attire pas du tout, comme un débutant qui ne s'applique pas, ou qui va vite.
C'est un dessin qui ne s'applique pas, comme tu dis, mais parfaitement maîtrisé, pas débutant.
Il ne cherche pas à faire joli, lisse, propre, c'est donc aux antipodes de ce que tu dis apprécier. C'est brut, rêche, plein d'aspérités, nerveux. C'est du dessin, pas de la représentation fidèle de la réalité.
timi39 a écrit: pour les couleurs ( me souviens plus de la date de sortie ) je ne sais pas si ca colle avec le style de l'époque, mais j'aime pas.
Les couleurs, c'est une claque. Lynn Varley emploie une technique qui apporte de la texture aux lumières, c'est proche de la peinture, à l'encontre de l'aplat gouaché de l'époque. S'il faut faire une comparaison, je dirais que c'est proche du franco-belge de l'époque. Y a du grain dans les couleurs. Moi, ça m'évoque ce que faisait Rabarot sur l'
Aquablue de Vatine, par exemple. Il y a de la texture, de la richesse, un violent contraste avec les couleurs "vieillottes" décriées plusieurs fois ces derniers jours.
timi39 a écrit:et alors l'histoire, ben... je n'y ai pas du tout trouvé d’intérêt.
Batman qui revient à cinquante ou soixante balais alors qu'il avait décroché, et qui reprend le combat dans une ville gangrenée par la violence, ça ne te parle pas ?
timi39 a écrit: en même temps les trucs politique ca me dépasse autant que ca me gonfle.
Tu as lu
Civil War ? Je sais que des gens en ont parlé récemment, mais toi, je ne sais plus.
Parce que bon,
Civil War, dans le genre politique, c'est copieux.
Ce qui me semble intéressant dans le
Dark Knight, c'est que la politique est à double niveau.
Le premier niveau, c'est les références à la politique dans la vie réelle à l'époque, c'est-à-dire l'Amérique triomphante, va-t-en-guerre et basse du front de Ronald Reagan, l'Amérique du chômage, de la violence, de la "guerre des étoiles" et de la paranoïa sécuritaire. Cette Amérique-là s'en prend plein le museau dans
Dark Knight, avec les références aux anciens présidents et bien entendu à Reagan lui-même, vieil empereur décati qui utilise Superman comme un exécuteur des basses œuvres. Rien que ça, c'est percutant. Après, faut connaître Reagan, mais l'excuse selon laquelle "j'étais pas né, je peux pas connaître", elle a le don de m'agacer.
Le deuxième niveau, c'est la politique au sens étymologique du terme, à savoir "la vie de la cité". Et là, on a quoi ? On a un justicier qui revient, et dont la seule présence transforme entièrement la cité, et par extension la société. Il met la police sur les dents, il suscite un emballement médiatique incontrôlable, il crée des vocations parmi les habitants, etc etc. Et là, c'est intéressant, parce que l'on voit les mécanismes de "collusion" entre les médias, les forces de l'ordre, et ça remonte jusqu'à la Maison Blanche. Le tout sur fond de Guerre Froide (1986 oblige). Passionnant.
timi39 a écrit: il y a probablement plein de références à des choses que je n'ai pas connus, ou qui me passent à 10000 au dessus.
Sans doute, ouais, je sais pas.
Je t'ai donné quelques pistes de lecture. Quand tu reliras, dans un an, dans dix ans, tu t'en souviendras et on verra ce que ça donne.
timi39 a écrit:du coup je n'ai pas apprécié.
Pas le bon moment, je pense.
timi39 a écrit:Il faut quand même que je précise que ce fut une de mes premières lectures de comics (il y a 4 ans), et de batman. ce n'etait surement pas une bonne idée,
Oui, pour commencer Batman, c'est un peu brutal.
Après, je te ferai remarquer que ça ne t'a pas dégoûté, au contraire ça t'a amené à lire d'autres trucs. C'est pas insignifiant non plus.
Mais je crois que l'importance du
Dark Knight tient aussi à l'électrochoc que ça a été à l'époque. Un coup de pied dans la fourmilière.
timi39 a écrit: je prendrai surement le temps de la relire avec l'expérience des batman que j'ai maintenant. mais j'ai encore aujourd'hui bcp de mal à comprendre l'engouement pour celle ci.
Alors ça tient à plusieurs choses.
Déjà, Miller est une vedette à l'époque. Même si
Ronin n'a pas marché, il bénéficie d'une aura colossale.
Ensuite, le
Dark Knight est le premier
comic à être publié dans le
prestige format, un nouveau format à l'époque, qui consiste en un
comic book de 48 pages à dos carré (
Ronin fait 48 pages dos broché) sans publicité. En gros, comme un album souple, mais format
comics (j'adore les
prestige format). Plus cher, bien évidemment, mais qui a surpris tout le monde et rajouté du buzz.
Enfin, Miller propose un Batman vieillissant dans un paysage éditorial planplan. C'est plus violent, plus "adulte", à une époque où Batman est une série orientée polar avec des intrigues liées à la mairie de Gotham ou à l'arrivée d'un nouveau Robin. Excellente période (que je redécouvre ces derniers temps) et qui servira d'inspiration à la série animée
Batman de Paul Dini et Bruce Timm (j'imagine que tu en as vu), mais qui semble bien sage par rapport au
Dark Knight.
Donc gros pavé dans la mare, si tu veux.
Et pour insister, je signale qu'en fait, après
Dark Knight, c'est l'ensemble de la politique éditoriale sur Batman qui suit ce filon. Miller écrit
Year One et raconte les origines, on lance une série
Legends of the Dark Knight qui se situe dans la jeunesse du héros, Wagner et Grant arrivent sur
Detective Comics et commencent à faire des histoires rentre-dedans un peu à la
Judge Dredd (leur premier épisode : Batman interroge un malfrat en lui plongeant la tête dans la cuvette des toilettes). Et un récit comme
The Cult, de Starlin et Wrightson, s'inspire directement, presque case à à case, du
Dark Knight (bon, Starlin a bossé dans le même studio que Miller, ils se connaissent, c'est clairement un hommage entre potes, pas un emprunt éhonté : j'en parle
ici).
Bref, il y a un avant et un après
Dark Knight.
Alors je ne sais pas ce que tu as lu de Batman, mais je parie un café-croissant que ce que tu as lu a suivi le Dark Knight, et ne l'a pas précédé. Et demeure marqué par le
Dark Knight.
timi39 a écrit:J'aimerais avoir ton niveau de lecture jimbolaine et d'interprétation des histoires. je verrais surement les choses différemment.
Assurément.
Ce qui ne veut pas dire que tu penseras comme moi. Mais tu ne penseras plus comme tu penses aujourd'hui parce que tu auras lu d'autres BD, écouté d'autres avis, etc etc.
Je repensais à une réflexion que tu as faite du même acabit, je crois (ou bien quelqu'un d'autre, je sais), et une autre réponse m'est venue.
J'ai commencé à lire activement des récits de super-héros au début 1981. Je suis né en 1970, donc y a plein de trucs que je n'ai pas connus au moment de la sortie. J'en ai entendu parler ici et là. La mort de Gwen Stacy ou les
X-Men de Neal Adams et Tom Palmer, j'en ai entendu parler dans les courriers des lecteurs de
Strange avant de les lire moi-même. Des trucs comme les
Deadman de Neal Adams ou les
Green Lantern / Green Arrow d'O'Neil et Adams, ou certains trucs de Kirby, j'en ai entendu parler dans les magazines et les fanzines, genre
Scarce. Et puis j'ai discuté avec des lecteurs, qui connaissaient d'autres choses, qui étaient sensibles à d'autres choses.
Si je me replace dans le contexte de quatre ans de lecture de super-héros (comme toi pour Batman), j'imagine que je ne savais pas trop qui était Will Eisner, que j'avais pas encore lu le
Spirit, je sais pas trop si j'avais lu des EC Comics des années 1950 (même s'il y avait des recueils disponibles). J'imagine aussi que je prenais les propos de Stan Lee, traduits dans
Strange Spécial Origines, pour argent comptant, et donc que je croyais que le renouveau des super-héros passait par
Fantastic Four en 1951 (alors que c'est plutôt par Flash en 1956). Tu vois le truc.
Les
Green Lantern / Green Arrow, ils étaient en poche chez Arédit, je suis pas sûr d'en avoir lu beaucoup à l'époque. Je sais en revanche que j'ai lu la VO de tous les épisodes assez tardivement, sans doute vers 1999, et je me suis rendu compte de l'importance du truc. Les
Wonder Woman d'O'Neil et Sekowsky (quand elle n'a plus ses pouvoirs), je les ai tous lus dans les années 2000 (j'avais dû en lire un ou deux dans les pockets), et les
Superman d'O'Neil, le fameux récit "
Kryptonite Nevermore", je l'ai lu
in extenso il y a quoi ? Deux ans ?
Après, effectivement, quand j'ai découvert le boulot de Neal Adams, j'avais vu des dessinateurs qui m'impressionnaient davantage (Miller, Byrne), mais au final, ils étaient influencés par Adams. Et surtout, j'ai compris à ce moment en quoi le dessin hyper-réaliste d'Adams avait pu être une révolution à la fin des années 1960, surtout chez DC où les dessinateurs avaient une approche très "calme". Mais pour comprendre le choc que représentait Adams, il a fallu que je lise d'autres trucs, pour remettre en contexte, comme on dit.
Et je continue à découvrir des trucs, plus ou moins vieux, plus ou moins influents. En vrac, comme ça, j'ai relu les dernières années de Bill Mantlo sur
Hulk, que je connaissais en partie seulement, il y a trois ans, et j'ai compris à quel point les épisodes de Greg Pak (
Planet Hulk,
World War Hulk…) étaient influencés par ça. Depuis quelques années je découvre le boulot de Joe Maneely, dessinateur des années 1950. J'ai lu il y a deux trois ans plein de "
jungle comics" de chez Atlas, et je découvre certains des premiers personnages noirs de ce qui deviendra Marvel par la suite.
Etc etc.
On peut pas tout connaître quand on commence à lire. Et comme en plus on lit pas dans l'ordre (chronologique ou d'importance), on ne se rend pas compte de la pertinence et de la force de chacun des récits, parce qu'on peut pas encore bien comparer.
En soi, c'est pas bien grave. Déjà parce que, au final, c'est que de la BD. Et puis que, si on est mordu, on finira par lire et relire les choses importantes.
Step by step.
Jim