Batman : Earth One, scénario de Geoff Johns, dessins de Gary Frank, DC Comics, 2012.
La gamme "Earth One" pourrait se définir comme une version éditoriale contemporaine des Elsewords.
Dans un livre, un auteur raconte, à sa façon, les origines d’un héros connu, dans un monde très réaliste, très dur, où l’on y meurt pour de vrai.
Elle nous revient, enfin, après une longue période d'interruption forcée, causée par les divers "events" de la maison (Final Crisis puis Flashpoint et New 52) ainsi que par la mauvaise santé du responsable de la série, Strackzynki, remplacé par Johns ici qui nous avait offert un très convaincant Superman.
Raconter, une nouvelle fois, les origines et les débuts du Chevalier Noir semble relever de la gageure : d’ailleurs, dans New 52 les auteurs se sont abstenus ; la version de Frank Miller de "Year One" semblant rester la référence officielle.
Batman, comme Superman, sont des personnages devenus archétypaux : tout le monde connait leurs origines et leurs fonctions.
Superman, un alien, dernier survivant male de sa race, élevé sur terre, déguisé en journaliste maladroit est un sauveur divin. Batman, sous une apparence de playboy millionnaire narcissique est, la nuit venue, un justicier solitaire, névrosé, hanté par la mort de ses parents tués par un truand minable dans une ville sans lois.
Difficile d’être original pour raconter leurs débuts, à moins, comme Miller dans son étrange All Star Batman de laisser libre-court à ses fantasmes coupables et de présenter Bruce Wayne comme un quasi-malade mental dérouillant tout sur son passage et ridiculisant la Justice League dans des aventures aussi jouissives que régressives !
La tâche s’annonçait ardue pour Johns et c’est avec un réél scepticisme que j’ouvris ce livre, qui a la particularité de ne pas avoir connu de prépublication. Mais fan de Batman un jour, fan toujours ; je présume !
A ma stupefaction, Johns s’en tire de manière remarquable. Mélant des passages obligés et des trouvailles qui s’avèrent géniales.
Johns choisit de ne présenter qu’en Flashback la mort des parents de Bruce. On le découvre déjà habillé en Batman. Il débutte, il est encore très maladroit et certaines de ces acrobaties aériennes manquent de précision. La police a bien du mal à savoir de quel camp il est, d’autant qu’elle est corrompue au-delà du possible.
Bruce est, comme on se l’imagine, rempli de colère, prêt à terroriser les criminels sous son masque.
Johns va donc reconstruire, non la figure de Bruce, mais celles, connexes à Batman, du commissaire Gordon, d'Harvey Bullock, de Cobblepot et d'Alfred.
Ici, le commissaire Gordon n’est pas le flic incorruptible et courageux que nous connaissons. Il aimerait l’être, mais il a une fille, Barbara. Il sait bien qu’il lui arriverait du mal s’il s’opposait à la corruption de la ville et de ses forces de l’ordre. Gordon désabusé, meurtri, apparait vaincu, tétanisé incapable d’âgir en raison de la peur qu’il ressent pour la sécurité de sa fille… Il attend la retraite pour mieux fuir cette ville maudite…
Arrive alors le jeune Harvey Bullock, policier svelte, jeune, séduisant et idéaliste, il devient l’équipier de Gordon. La corruption et le crime le répugnent. Il constate que si Gordon a baissé les bras, il demeure un brave type et que son arrivée pourrait le tirer de sa léthargie. En outre Bullock, sans forcément les approuver, apprécie plutôt les interventions musclées du Bat-Man.
Cobblepot, maire de Gotham, ancienne relation de la famille Wayne, est un personnage répugnant, sordide, représentant le vice et la noirceur de la ville, il organise les pires trafics et règne par la terreur.
Alfred Pennyworth, ancien garde du corps des Wayne, est devenu le tuteur du jeune Bruce.
Mieux que cela, quand il comprend que le jeune garçon n’aspire qu’à la vengeance, cet ancien officier du MI5, à la jambe boiteuse, devient son formateur militaire et son guide. Le décès des Wayne lui a toujours paru étrange : ils se sont faits assassinés quand le maire actuel (Cobblepot) se présentait la première fois et alors qu’ils faisaient tout pour qu’il ne soit pas élu, coïncidence étrange, non ?
Ces personnages vont se croiser autour d’une affaire sordide : un assassin d’enfant, couvert en haut lieu, perpétue des atrocités. Batman, Bullock et Gordon veulent le mettre hors d’état de nuire. La confrontation, âpre, sinistre révèle une Gotham corrompue, répugnante qui ne peut que pervertir ou changer à jamais, ceux qui y vivent.
Après cette affaire, tout changera et pour Gordon et Bullock et pour Cobblepot...
Ce Batman Earth One constitue un excellent moment de lecture.
La redéfinition de personnages comme Alfred ou Bullock est admirable.
Le livre refermé, on espère revenir, prochainement, dans cette Gotham déchue, comme le laisse penser la dernière planche. Le dessin réaliste de Gary Frank apporte beaucoup également à ce récit, sa vision de Gotham "by Night" est angoissant au possible.
A mon avis, Batman Earth One est une lecture obligatoire pour les fans du Chevalier Noir familiarisés avec sa mythologie, ils apprécieront les changements subtils et les variations des thèmes connus.
Les novices, eux, préféreront à ce bel ouvrage la réédition du Batman Year One de Frank Miller, réédité chez Urban Comics, moins dépaysant et présentant les origines "officielles" du Chevalier Noir.