Oh m'sieur Lainé , je vous fais entièrement confiance là-dessus. 1963 fait hélas partie des trucs que je n'ai jamais lu.
Sinon, oui, oui, bien sûr que les contraintes éditoriales existent sur les grands personnages.
Il n'empêche que Moore a véritablement ouvert une voie d'utilisation du médium en se basant sur les super-héros. Par là, il rejoint une réflexion de Miller (en préface de je ne sais plus quel bouquin) sur le fait que si la bande-dessinée a repris de nombreux genres qui ont été développés dans d'autres médium (western, polar, aventures, fantasy, etc...), il y en a un qui lui est complètement rattaché, car créé par elle, c'est celui de super-héros.
Or, c'est bien dans cet environnement que Moore a développé ses gammes, amenant le grimm'n gritty d'abord, en poussant le côté "réalistique" du concept avec Watchmen (même si d'autres avant lui avaient déjà su confronter les super-slips aux problèmes de société : drogue, racismes, difficultés économiques, etc...). Ensuite, il s'est aussi attaché, dans sa démarche artistique, à repousser les limites du médium, tel un Georges Perec bédéaste, tout en cherchant à lui conserver ses qualités d'entertainment et ce genre (les super) si intimement lié.
Déjà dans Watchmen, l'épisode palindrome Fearfull Symmetry, est une digression vers la construction littéraire et poétique, comme sa référence à William Blake l'indique.
Pour en revenir à la mise en abîme (elle aussi déjà citée dans Watchmen), c'est une application importante dans son oeuvre qui lance véritablement la réflexion sur le medium. Suprême est entièrement basé là-dessus et Moore nous offre tout une variation autour du principe, tout en prenant soin de conserver le côté ludique de l’histoire. Comme je l’ai dit, c’est la mini-série Judgment Day (malheureusement dessinée par le tâcheron le plus impitoyable de l’univers) qui va à mon sens pousser le jeu à son maximum
On découvre que le coupable, un des super-héros de l’histoire, en est aussi l’auteur, de l’histoire !!
Et tout ça en se payant le luxe de revisiter tous les mythes du super-héroïsme au passage ! C’est une véritable étude littéraire qui se cache en fait derrière une « banale » histoire de super-héros, et même doublée d’un pamphlet sur l’état du genre au milieu de années 90.
Il va appliquer aussi cette méta-narration dans ses autres œuvres, dans Tomorrow Stories surtout, ou encore dans l’hyper-référencement littéraire de la LXG (cf le sujet qui est consacré à la Ligue). Pareillement, l’album 1910 de la Ligue a été écrit sur le thème de l’Opéra de Quat’Sous, Moore cherchant une nouvelle fois à mélanger les genres et souhaitant même que sa BD soit plus « chantée » que « lu » (décalaré dans une interview).
Pour en revenir aux super-héros en tant que tels, avec un autre exemple, le principe trouvé par Moore pour ressusciter littérairement
et littéralement les personnages de Nedor Comics, dans l’épisode de Tom Strong où ce dernier va à leur secours, procède du même ressort et de la même invention. Principe tellement génial que cela a ouvert la voie à un univers entier de personnages repris dans les Terra Obscura de son copain Petre Hogan (avec, cerise sur le gâteau pour nous autres lecteurs français, la réapparition d’un personnage ô combien chéri par toute une génération).
Bref, désolé d’avoir été un peu long, mais tout ça pour dire que je vois bien pourquoi Moore, grand créateur et initiateur devant l’éternel, peut regretter de ne pas être suivi plus que ça sur les champs infini qu’Il a, dans Sa grande miséricorde bien voulu nous offrir… Oôôôm… Oôôômmmm…