alambix a écrit:Le numérique est un enjeu. Pour l'instant on a démontré que la BD numérique est minoritaire. Si le rapport s'inverse, les éditeurs auront-ils intérêt à baisser le PV de leur BD physique pour compenser ou au contraire gagneront-ils mieux leur vie sur le numérique (et inversement pour les auteurs) entraînant le déclin de la bd physique au détriment du revenu des auteurs ?
A mon sens, regarder ce qui se passe du côté de la musique est une bonne indication.
D'une part, la substitution n'est pas encore complète: il y a plein d'usages pour lesquels le CD reste présent, et pas uniquement pour des questions de rupture générationnelle/technologique (cadeau, achat destiné aux enfants, etc.).
D'autre part, on assiste au contraire au développement d'une offre "de luxe" (cf. le vinyle), qui correspond à une demande très spécifique.
Donc pour la bande dessinée, je vois bien se développer une offre numérique pour le tout-venant, et une offre papier "prestige" pour les collectionneurs et/ou amateurs de patrimoine. C'est d'ailleurs ce qui existe déjà, si l'on considère les intégrales et les rééditions patrimoniales.
alambix a écrit:Ma démonstration ne partait pas du principe que le prix était le seul facteur. Mais partait aussi d'un constat que les séries anciennes qui se vendent moins sont progressivement retirées des rayons, tout comme les nouveautés one-shot.
Les rééditer à prix réduit "pourraient" permettre leur retour. On offre une 2ème vie à des albums pas forcément vieux d'ailleurs, mais pour lesquels certains sont passé à côté à cause du prix. Certains ne vont pas acheter "l'homme gribouillé" à 30 € mais vont attendre de le trouver moins cher chez le bouquiniste. C'est le même principe.
La chaîne de distribution physique fait que pour vendre 100 exemplaires, il faut en mettre 200 en magasin (très schématiquement, mais les ordres de grandeur sont bons). Résultat, (re)lancer un titre qui a eu du mal à se vendre à un niveau de prix plus bas, avec tous les frais supplémentaires que cela implique (recréer le livre, le relancer dans le circuit de distribution, le proposer à nouveau, etc.) tout en se traînant les casseroles du premier échec, n'offre pas les perspectives de rentabilités les plus séduisantes. Surtout quand, comme tu le dis toi-même, les lecteurs qui rechignent à trop dépenser déploient déjà tout un tas de stratégies pour réussir à lire et/ou acheter plus, à coût moindre (lecture sur le lieu de vente, lecture/emprunt en bibliothèque, emprunt à des amis, achat d'occasion, scans sur Internet, etc.).
Donc c'est clair que quand l'éditeur a le choix, entre lancer un truc qui semble avoir du potentiel, et relancer un truc qui s'est déjà pris une tôle, il n'hésite pas longtemps.
alambix a écrit:Tu prends l'exemple de TINTIN. OK. Mais ce que Filippini veut dire, c'est aussi que, à côté des albums à 10 € dont le prix ne varie, on trouve finalement un nombre de plus en plus important de bande-dessinées dépassant les 15 € quand rien ne le justifie.
J'ai cité l'exemple de "Jamais" de Duhamel par exemple. L'histoire ne justifie pas un GF avec couverture rigide. L'éditeur a mis en avant un bel objet visant là une certaine catégorie de lecteurs.
Pour l'évolution des prix, je te renvoie à
la partie correspondante dans la Numérologie 2014:
Les données historiques exploitables (remontant seulement à 2005) confirment en partie cette perception : en effet, les prix moyens observés ne cessent d’augmenter sur la période, enregistrant une progression conséquente de plus de 20 % en huit ans. Si le manga reste plutôt stable (et en adéquation avec l’évolution de l’indice des prix à la consommation harmonisé), le reste du marché montre une claire inflation des prix, qui augmentent de 26 % sur cette période (contre 11 % pour l’indice des prix à la consommation harmonisé).
Cependant, il faut souligner que le prix moyen observé au global est la résultante de phénomènes très divers, qu’il s’agisse de l’introduction du format poche (avec des prix en rapport) de la grande majorité des manga, ou de l’arrivée sur le marché des romans graphiques et autres intégrales, à la pagination et au prix plus élevés. C’est plutôt en s’attardant sur l’évolution du prix à la nouveauté de certaines références «canoniques» que l’on peut véritablement estimer si la bande dessinée s’est appréciée ou non au cours des décennies passées.
Depuis juillet 2007, le SNE publie deux fois par an une grille des tarifs pratiqués par une partie des éditeurs ; pour les dates antérieures, le dépôt légal à la BnF permet de retracer les prix de vente à chacune des sorties. Afin de considérer un échantillon réduit mais suffisamment représentatif, nous avons choisi de nous intéresser aux séries XIII (Dargaud), Largo Winch (Dupuis), Blake & Mortimer (Éditions Blake et Mortimer), Titeuf (Glénat) et Lanfeust (Soleil). Ces séries présentent l’avantage d’avoir des sorties quasi-annuelles, et représentent presque un quart (24 %) des titres franco-belges classés dans les Top 50 annuels de Livres Hebdo sur la période 2000-2013, et constituent 36 % des ventes cumulées.
En moyenne, l’évolution des prix à la nouveauté de ces cinq séries sur la période 1996-2013 suit (par paliers) l’évolution de l’indice des prix à la consommation harmonisé. Alors que le passage à l’euro en 2002 n’occasionne pas de «réajustement» notable, la tendance depuis 2010 semble être à une augmentation notable pour les trois titres de Média-Participations — une tendance également renforcée par le passage de la TVA sur le livre au taux majoré de 7 % en avril 2012, avant un retour «à la normale» à 5,5 % au premier janvier suivant.
Dans ce contexte, le «prix de vente abordable» du dernier Astérix s’inscrit dans l’évolution globale, dans une fourchette basse comparable aux pratiques observées sur Lanfeust ou Titeuf, XIII et Largo Winch représentant la fourchette haute de l’évolution.
(il y a un graphique sur la page, qui est plus parlant)
Là où Filippini se trompe, c'est dans son idée d'une bande dessinée "populaire". Il y a bien longtemps que la bande dessinée n'est pas "populaire" dans le sens sociologique du terme, et dès la première étude sur le sujet (IFOP 1991, si ma mémoire est bonne), on a le portrait d'un lecteur de bande dessinée essentiellement CSP+.
Ensuite, quand l'éditeur fait un livre, il faut penser qu'il s'adresse à plusieurs interlocuteurs: l'ensemble de la chaîne de diffusion, qu'il doit convaincre de mettre l'ouvrage en avant, en plus du lecteur. Avec tout un tas de caractéristiques formelles symboliques qui conditionnent la réception de l'ouvrage -- la couverture cartonnée étant encore un élément fort de distinction: je me souviens d'éditeurs indépendants me racontant comment, à Angoulême, certains lecteurs belges prenaient sans les payer les fascicules souples qui étaient en vente, parce qu'ils étaient convaincus qu'il ne s'agissait là que de prospectus promotionnels.