Ben le constat n'est pas simpliste, les causes sont multiples.
Le monde de l'édition a évolué mais pas son modèle économique (ou en tout cas pas en faveur des auteurs) :
- plus d'auteurs car démocratisation des moyens de production, par exemple. Plus d'écoles aussi, généralisation du web aussi etc.
Tous ne veulent pas devenir auteurs tu as d'autres débouchés (la presse, l'animation), mais on parle d'une profession artistique, les mecs ne le font pas tous pour être millionnaires, plutôt par affinités, opportunités, coup de cœur etc.
- plus de productions mais pas dans le sens vachement plus pour le même nombre de lecteurs, cela signifie plutôt que l'offre a grandi plus vite que la demande.
Quand on parle de 5500 sorties (en gros) l'année, depuis 2005 c'est énorme. Même si ça englobe les rééditions (~2000), ça fait quand même 3500 nouveautés/an.
Mais la vente moyenne (le nombre d'exemplaires par titres) s'est effondrée, mise à part quelques locomotives (Astérix, le Chat par exemple), tu ne vends plus 100 000 exemplaires mais plutôt 5 000 pour être rentable, 10 000 pour être un "succès".
L'explosion de titres est due d'abord aux éditeurs : ce sont eux qui décident ce qui paraît ou pas. Et certains ont clairement opté pour le "j'occupe le terrain, je vendrai". Une des conséquences qui rejoint le point plus haut est que plus de titres de l'éditeur X sont vendus mais l'auteur Y vend moins.
Le rapport de force s'inverse, c'est la maison d'édition qui décide, qui fixe les tarifs, qui poursuit ou arrête une série.
- moins de visibilité : face à cette augmentation, le nombre de librairies, de rayonnages et de semaines dans l'année n'ont pas augmenté : les albums restent en rayon moins longtemps : il faut donc les vendre vite et bien
- Le prix a augmenté, pas forcément le budget : les titres/séries à 50Frs, 10€ puis 12€ se trouvent dans les 14-15-16€
Tu parles de pages mais le 48 CC du tintin de ton enfance est révolu, il n'est plus seul, il continue d'exister mais se cantonne à un certain type de BD. Tu as du petit format, du grand, du 92 pages, du plus de 200, en N&B ou couleurs, etc. cela s'adapte à la fois au propos et au temps de réalisation. Toutes les histoires n'ont pas besoin de 120 planches pour être racontées, ça peut aussi être la volonté des auteurs etc.
Je ne dirais pas que "trop de BD tue la BD", parce que plus il y a de BD plus tu as de merdes, mais plus tu as aussi de qualité. Le lecteur est gagnant de ce côté (et ça répond à tes précédentes questions, oui on prend encore des claques en lisant, sinon, j'arrêterais). La forme, le ton, les propos, les thèmes ont évolués.
Pour moi, c'est plutôt "trop de BD tue les auteurs car le modèle économique n'a pas évolué".
Dans tous les "marchés" tu te heurtes au problème "celui qui crée la richesse/le produit n'est pas celui qui en vit le mieux".
Les maisons d'éditions se sont regroupées pour être distributeurs (DelSol pour Delcourt Soleil, les humanos, etc MDS pour Dupuis, Urban, Dargaud, le Lombard etc) et ces mêmes groupes prennent une part en tant que distributeurs et éditeurs. Sans compter la part libraires (qui eux peuvent directement faire ou pas le succès d'un bouquin)
Là où un auteur pouvait avoir une avance (et en vivre) puis un % sur les ventes il se retrouve à espérer assez de ventes pour ne pas devoir de l'argent à l'éditeur ou signer la suite.
D'ailleurs là aussi les éditeurs sont les maîtres, ils ne vont pas hésiter à arrêter/écourter une série (plutôt que la laisser s'installer) et repartir avec la même équipe ou sur le même sujet peu de temps après.
Au final, plus d'auteurs, plus de titres, mais les auteurs sont moins bien payés.
Certains décident de s'en émanciper via le crowfunding (l'émergence de Sandawe, éditeur sur ce modèle, ulule etc.)
La solution (si elle existe) passerait par inverser le rapport de force entre créateurs et intervenants de la chaîne mais sans volonté politique ni une volonté commune des auteurs/créateurs, difficile de faire asseoir tout le monde à la table, surtout ceux qui sont habitués depuis longtemps à bien y manger.
Les choses évoluent, les différents rapports (Ratier publié tous les ans devrait te permettre d'approfondir ce que je survoles), le syndicat des auteurs (SNAC avec leurs états généraux) plein de choses mettent en branle pour informer, faire un état des lieux et chercher des solutions avec l'espoir de déboucher sur des décisions concrètes.