Je suis le sujet depuis le début. Intéressant, puis s'étiolant un peu...
J'ai la sensation qu'on en est à la recherche du bouc émissaire : ça va pas à cause de :
> du mainstream (qui répête des recettes éculées)
> du manga (avec sa cohorte de récits étirés et bas du front)
> du roman graphique (dont le lectorat stigmatisé bobo crée une bulle, une mode non représentative du marché)
> des éditeurs (qui font pas leur boulot de tri et qui lancent des ballons d'essain quitte à planter et des auteurs, et des lecteurs)
> des lecteurs ( dont une partie sont aussi bas du front et n'achètent que ce qu'ils aimaient il y a déjà 20 ans)
> etc etc etc...
En opposant telle ou telle forme (ou format), on réduit drastiquement la discussion à des querelles de clocher.
Je sais : je suis le connard de service qui recentre le débat.
Alors, pour donner le change, je vais témoigner un poil, histoire de. En prenant mon cas perso, précis.
Mon premier bouquin est sorti il y a 5 ans. J'ai sorti 5 bouquins. Le premier, je l'ai réalisé quasi "à sec". Les autres sont sortis chez Delcourt, et je suis payé à la planche pour des albums classiques de 46 à 54 planches, au forfait pour les bouquins à pagination importante (112 pages). Mon prix à la planche a augmenté de 20 euros en 5 ans.
Pour l'heure, aucun des albums réalisés chez Delcourt n'a eu du succès. Pourtant, ils continuent de me faire confiance, et je suis aujourd'hui sur des projets ambitieux, commercialement parlant (pour moi et pour eux...)
Je suis l'exemple parfait qui contredit la logique "un échec ? dégage !"
(Je ne suis pas le copain-coquin-voisin, comme il a été dit plus haut : Je ne vais dans leurs bureaux qu'une à deux fois par an, pour une visite éclair, on va dire de courtoisie, quand l'occasion se présente. On se connait assez peu, en fait.)Je ne connais pas, ou très peu les autres maisons d'édition, ni les situations, les relations d'autres auteurs avec les uns et les autres. Je connais quelques contre-exemples à ma situation, mais je voulais aussi dire que, des fois, ça se passe bien aussi, même quand on est pas un "best-seller".
C'était la partie feel good du sujet.
Pour ce qui est de la crise, je ne peut que rejoindre JD Morvan : je crois que la bd est devenu un medium peu attractif, ou n'a pas su le devenir suffisamment pour que créer des vocations de lecteurs. Quelque soit le registre, une bd doit pouvoir être séductrice (je n'ai pas dit jolie ou gentille), sans être racoleuse. Je rejoints totalement Luc : les bouquins d'Alan Moore ou de Franck Miller en sont le parfait exemple : c'est intelligent, ça questionne, c'est esthétiquement abouti, parfois bad ass, ça sort d'un créneau strictement "national", sans amoindrir le propos ou l'identité et c'est... fun. Par fun, j'entends "plaisir de lecture" sans être mièvre, carrefouresque ou putassier.
Manifestement, dans notre histoire franco-belge, on ne sait pas faire ça, en tout cas, plus, ou pas encore.
La faute à ?
On s'en fout un peu, nan ? Quelq'un va prendre la barre pour virer les indélicats ou changer les habitudes ? Ben nan ! On peut continuer à se faire plaisir avec des "faudrait qu'eux, ils fassent autrement" et autres formules incantatoires en direction de gens (éditeurs, libraires, lecteurs, auteurs) sur lesquels on (éditeur, libraire, lecteur ou auteur) n'a pas de prise.
Je pense que nous sommes à la fin d'un cycle. Aujourd'hui, ça pâtine, mais on s'en sortira que progressivement (peut-être avec des heurts) par une forme de renouvellement des habitudes et des auteurs et des éditeurs et des libraires et des lecteurs.
Le tout, c'est de s'y mettre.