Là encore tu tronques quand ça t'arrange.
M. Gauthey (boss de Cornelius) dit :
Alors, sur la promotion, je pense que c’est bien lié aux problématiques que l’on est en train d’évoquer : il est absolument impossible d’offrir une promotion digne de ce nom à autant d’auteurs, à autant de livres. Il faudrait créer des journaux, en fait. Mais le premier problème, et c’est pour ça que je veux me détacher du seul prisme de l’auteur, c’est qu’il faudrait créer des lecteurs. Or, on est en train d’en perdre. Je vais rester là-dessus, et on y reviendra après.
Dans le même article on a :
Thomas Ragon éditeur chez Dargaud a écrit:Je parle pour un débutant, en gros, un premier livre... Quelqu’un qui commence, quoi, sur lequel on n’a aucune visibilité concernant l’aspect économique de la chose. Évidemment que nos patrons aimeraient bien qu’on fasse des livres où on demanderait aux auteurs de nous payer pour qu’ils soient édités. Ils en rêvent la nuit, je pense. Après, c’est selon les structures, et chez Dargaud, on ne propose pas en dessous de 10 000 €. Des fois, si, si le livre est fini, ou presque. Quand je parlais de rapport de force tout à l’heure, il est toujours là, ce rapport de force. Du départ jusqu’à la fin, ça évolue, et c’est selon le projet, la personne que vous avez en face de vous, selon le sujet… C’est au cas par cas.
Plus loin sur l'objectif des grosses maisons d'édition :
Jean-Pierre Mercier : Est-ce que tu n’as pas l’impression, malgré tout, que l’éditeur, dans sa relation avec l’auteur, a des responsabilités sociales ? Quand tu pars avec un auteur, si tu signes avec lui dans le cadre d’une série, un tome, deux tomes, trois tomes... Tu t’engages avec lui sur un certain temps. On en revient avec ce qu’on disait, il faut au minimum assurer les conditions d’un travail correct financièrement, pour que le travail puisse être fait dans des conditions décentes. Or, on entend des auteurs qui disent : « Je travaille 60 h par semaine pour gagner moins que le SMIC ». Je n’arrive pas à comprendre… comment en est-on arrivé à ce système où tu demandes à des auteurs un travail professionnel pour un résultat financier pour eux qui est absolument insuffisant ?
Thomas Ragon : Nous, on est là, les directeurs de collection, à travailler essentiellement avec les auteurs, et on se tape tout le travail annexe d’une maison d’édition normale : fabrication, marketing etc… Mais il ne faut quand même pas délirer. Les gens qui dirigent ces boîtes, ils ont fait des écoles de commerce, on leur a inculqué certaines manières de faire, on leur a dit que le monde tournait d’une certaine manière.
Thierry Joor (éditeur Delcourt) : Ce ne sont pas de mécènes, hein.
Thomas Ragon : Il y a de stratégies industrielles, commerciales. Certains choisissent, et ont clairement choisi, de manière très consciente, que le développement de leur entreprise se fera de manière horizontale, c’est à dire en multipliant les titres, en occupant l’espace dans les librairies. Je sais que moi, personnellement, j’ai vécu, il n’y a pas très longtemps, la question de décider, ou pas, de passer dans une stratégie identique. « Qu’est-ce qu’on fait, on perd des parts de marché. On fait quoi, 200 titres de plus par an ? » Voilà,
...
Jean-Louis Gauthey : La violence dont on parlait tout à l’heure, elle est dans cette question non résolue ‒ que les éditeurs ne souhaitent pas résoudre ‒ qui est de savoir combien de personnes on peut satisfaire raisonnablement. Et surtout, comment peut-on faire son travail de la meilleure des façons possibles. Quand on est à ma place, c’est très facile. Comme je le disais, l’argent je le trouve ailleurs. Donc au final, ma seule responsabilité, ce sont les gens, les auteurs avec qui je travaille. Et collectivement, on s’est posé la question : combien il était possible de faire de livres, chez Cornélius, et de les défendre équitablement ? Et c’est 20, en fait. Je ne vais pas détailler le pourquoi du comment, mais c’est 20. 20 maximum, pas 21. Donc en règle générale, on est entre 17 et 20, selon si on a pris plus ou moins de vacances. Mais cette question-là n’est pas du tout compatible avec le modèle que décrit Thomas, on en est même très loin, puisque ce sont des logiques de masse. Pour reprendre ce que je disais, le mot surproduction, je ne l’utilise plus. Puisque c’est un terme technique, et qui dit technique dit solution technique. Aujourd’hui, j’utilise le terme de surabondance, puisqu’il est plus à même de comprendre ce qu’on ressent lorsque l’on rentre dans une librairie. À savoir une forme d’écœurement. Tu parlais de supermarché, je ne supporte pas d’aller dans un supermarché faire mes courses, j’ai envie de dégueuler. Face à la multiplication d’une offre qui est restreinte, qui mime la diversité, alors qu’il n’y en a jamais. J’ai la nausée. Le problème, quand je rentre aujourd’hui dans une librairie, c’est que j’ai de plus en plus ce sentiment. Et le véritable ennemi, pour moi, c’est cette surabondance, cette offre obscène qui a une conséquence très directe : la victime directe de la surabondance, c’est la curiosité. Je l’éprouve moi-même, puisque je ne me fais pas envoyer les services de presse par les autres éditeurs, mais j’achète tout ce que je lis, ou alors je vais en médiathèque. Et donc, quand je vais en librairie, je dois toujours faire un travail sur moi-même pour m’éviter d’être capté par mon instinct grégaire qui m’emmènerait vers les choses que je reconnais. J’ai fait cette analyse, un jour, en rentrant chez moi, en regardant ce que j’avais acheté. C’est incroyable : sur 10 livres, j’en avais déjà 8 dans des éditions antérieures. C’est là que j’ai commencé à réfléchir à ce problème. Les fois suivantes, avant de sortir du magasin, je me suis arrêté et j’ai regardé ce que j’avais dans mon panier. Et je me suis corrigé, volontairement. Donc je fais ça maintenant, et je me porte vachement mieux. Mais c’est du boulot.
Donc oui, tout est dit.
Faire un magazine va tout changer...