de gillouf » 26/10/2013 13:52
Mon avis (pour ceux que cela intéresse) sur le dernier Asterix
ATTENTION SPOLIER INSIDE (NE PAS LIRE SI VOUS N’AVEZ PAS LU L’ALBUM.)
Le verdict : pas totalement convaincu.
Le problème ne vient pas du dessin. Le choix de Conrad était un pari. Il est globalement réussi. L’idée d’Albert René, de ne pas de prendre un clone d’Uderzo (ses anciens assistants) et de faire un Asterix qui respecte à la lettre le graphisme du maitre mais sans le dynamisme et le supplément d’âme du maitre, était je crois la bonne solution. La caractéristique principale d’Uderzo étant d’avoir un dessin terriblement vivant et immédiatement sympathique. Prendre un imitateur aurait certainement conduit à un dessin figé et statique, ce qui est en totale contradiction avec ce qui fait les qualités du père d’Asterix (il n’ya qu’à voir les planches du studio dans l’album du 50eme anniversaire.).
Il me parait absurde de reprocher à Conrad de ne pas faire 100% du Uderzo et je ne crois pas que c’est ce qu’il a voulu faire (et heureusement pour lui.) Son intension étant de faire du dessin à la Uderzo dans « l’esprit » et il y’arrive plutôt bien (son trait est même une espèce de synthèse entre ce que je considère comme les 3 grands maitres de la Bd Franco-Belge humoristique à savoir Franquin, Morris et Uderzo.) Ca bouge bien, les expressions des personnages sont souvent très savoureuses, il y’a le détail qui va bien. Bref ça tourne bien.
Un bémol quand même : Conrad ne semble pas totalement à l’aise avec les scènes de bagarres qui sont pourtant un passage obligé dans Asterix. Il y’en a déjà peu dans cet album (deux seulement : les pirates et la bagarre de fin), et Conrad et Ferri semblent conscients de ce problème, puisqu’ils évacuent la dernière grande bataille en une case unique de résumé (rappelant la Zizanie) qui est pour moi, la case la plus faible de l’album.
Autre bémol (mais attendu par Conrad) : Conrad n’est pas un grand décoriste et il le sait. Il y’a peu de décor tiré au cordeau, comme pouvait le faire Uderzo, dans cet album. Si un jour il doit représenter Rome ou une autre grande ville de l’antiquité, cela ne va pas lui être aisé. Et globalement dans les Pictes, les grandes cases ne sont pas les plus réussies (à part la première de l’album et le banquet final.)
Non là où je trouve que le pari n’est pas complètement réussi c’est au niveau du scénario… Et c’est d’autant plus étrange que dès le départ, Ferri a fait l’unanimité sur son histoire et que c’est un auteur dont j’apprécie le boulot.
Je pense par exemple que le choix d’envoyer Asterix chez les Pictes était une fausse bonne idée. Les pictes ou les écossais, sont un peuple relativement mal connus pour nous autres français et européens et si on excepte, quelques clichés, comme les kilts, le whisky, le monstre du Loch Ness, les noms en Mac et la pingrerie, il n’y a pas grand-chose à se mettre sous la dent (d’ailleurs si on retire la pingrerie qui est un sujet un peu sensible, tout ces autres clichés se retrouvent dans l’album.) Surtout ces clichés, sont des clichés de « surface », des clichés visuels, mais pas des clichés comportementaux et sur l’état d’esprit des habitants de ce pays.
Si on prend les Anglais, la croyance populaire veut qu’ils soient flegmatiques et pince sans rire, et ils sont exactement comme ça dans Asterix chez les Bretons ; si on prend les Suisses, ils sont ponctuels et sont des maniaques de l’hygiène et ils sont comme ça dans Asterix chez les Helvètes, les Corses sont fiers, irascibles et nonchalants etc etc…
Or que peut-on dire des pictes/ecossais, bin pas grand-chose et de ce fait Ferri ne joue pas grand-chose dans son scénario (si ce n’est qu’ils sont divisés en centaines de tribus.)
Ce problème est plus profond qu’il n’y parait, car c’est ces clichés comportementaux qui permettent de construire au scénariste d’une aventure d’Asterix, des personnages secondaires non récurrents, savoureux, truculents et pour certains inoubliables.
A cause de ça, dans Asterix chez les pictes (et c’est peut-être un peu méchant de ma part de dire ça), les personnages secondaires sont fantomatiques. Mac Oloch n’existe pas vraiment, c’est presque un ectoplasme idem pour son oncle ou sa fiancée. Le seul qui tire un peu son épingle du jeu c’est le druide Mac Robotik (et ce n’est pas complément par hasard celui dont le patronyme est le jeu de mot le plus drôle et le plus signifiant.)
Or qui dit personnages aux caractères bien marqués dit comique de caractères. Ce genre d’humour est assez absent de cet album (si ce n’est le jeu habituel sur les personnages récurrents de la série.)
Or c’est aussi en partant du caractère de ces personnages, que l’auteur d’un Asterix construit une bonne partie de ses gags, et de surtout ses running gags… Et avec des personnages pas suffisamment campés, difficile de trouver des gags en partant d’eux, surtout des gags qui courent tout au long de l’album !
Je ne veux pas être injuste il y’a dans cet album, des moments drôles, mais il n’y a quasi aucun running gag alors que c’est pourtant une des marques de fabrique d’une histoire d’Asterix et plus généralement d’un scénario de Goscinny.
La question du running gag n’est pas si anecdotique qu’il n’y parait, car elle sert, dans Asterix, au scénariste à construire et à découper son histoire.
Ferri en grand professionnel et auteur de talent a analysé la construction d’un album « Goscinnynien. » Comme son glorieux ainé, il a donc découpé son scénario en « séquences » de 1 à 4 pages. Sauf que ce procédé chez Goscinny est à peine visible (sauf si on cherche à analyser sa construction) et la lecture est fluide, alors que chez Ferri il saute aux yeux et cet album donne l’impression d’être assez décousu. Les séquences ne s’enchainent souvent pas de manières harmonieuses.
Soyons franc ce problème se retrouvait aussi dans les derniers albums scénarisés par Uderzo tel que la Galère d’Obelix ainsi que la Traviata qui partait un peu dans tout les sens ! Ici, le récit est certes plus maitrisé que dans les deux albums précédemment cités, mais je trouve que les Pictes est moins bien construit que certains albums scénarisés par Uderzo (comme le Fils d’Asterix ou l’Odyssée.)
Il y’a donc manque de fluidité, un manque de « liants » entre les séquences dans les Pictes.
Ce qui faisait le lien chez Goscinny (et même dans les premiers albums d’Uderzo seul), c’était l’idée de départ, la mission que nos gaulois avaient à accomplir, mais aussi les personnages secondaires non récurrents forts qui faisaient avancer l’histoire, qui interagissaient avec nos gaulois et qui bien souvent se développaient sous forme de running gag. Ici du fait du problème du manque de clichés sur les pictes/écossais, du fait de la difficulté qu’a eu Ferri à partir de ceux-ci pour construire Mac Oloch et ses congénères, l’on a rien de tel !
Résultat, le rythme de l’histoire en pâtit ! Et si on lit cet album sans déplaisir (mais sans plaisir excessif non plus), personnellement je ne sais pas si je le relirai à nouveau.
Ce qui est dommage et qui nuit même à ce qui fait pour moi la principale qualité du scénario de Ferri. Ferri est un bon gagman et un bon dialoguiste. Il a truffé son album de jeux de mots et autres bons mots dont certains sont tellement complexes et subtils que l’on ne les remarque pas vraiment à la première lecture (je pense en particulier à celui sur l’Afnor !)
Un des plaisirs de la lecture d’Asterix ou d’Iznogoud, c’est de relire plusieurs fois l’album et de découvrir à chaque fois (et à chaque âge) de nouvelles références et de nouveaux gags et jeux de mots… Et là, incontestablement, Ferri fait le boulot et le fait très bien ! Sauf que pour qu’on puisse l’apprécier totalement, il faudrait encore avoir envie de revenir à cet album, ce qui dans mon cas, ne va pas de soi !
Bref je ressors de la lecture de cet Asterix, avec une opinion un peu mitigée.
Mon objectif avec ce long post, n’est pas de critiquer méchamment et gratuitement, le travail de Conrad et Ferri. Leurs talents respectifs n’est absolument pas en cause. Ils ont prouvé chacun que ce sont des auteurs importants (Conrad fait partie de mon top des continuateurs du style Franquin). Leur Asterix n’est pas honteux et il est très nettement supérieurs aux derniers Uderzo ou à beaucoup de reprises (Lucky Luke par Gerra, Iznogood, le Marsu, Alix etc…)
Il est évident que leur place n’est pas facile. Ils reprennent un mythe ! Ils ont du souffrir d’une pression de tout les cotés qui a surement pas été facile à gérer (les fans, l’éditeur, les collègues jaloux, se dire qu’on va être lu par des millions de lecteurs de tout âge dans toute l’Europe…).
C’est leur premier Asterix (n’est ce pas non plus le premier 44 pages non gags de Ferri ?) et la pression devrait être moindre sur le 2eme. Deuxième album qui risque d’être d’ailleurs plus une comédie de caractère, car selon le sacrosaint principe de la série, qui fait alterner un album où les gaulois sont en voyage et un qui se déroule dans le village, il est plus que probable que dans le prochain album notre village armoricain préféré et ses villageois qui ont été si bien campés par Goscinny seront plus mis en avant !
Mais Wait and See comme le disent si bien les deux héros, de l’autre reprise la plus fameuse de la bande dessinée franco-Belge ! Et RDV, à priori dans deux ans.
Dernière édition par
gillouf le 26/10/2013 18:21, édité 2 fois.