Ce n'est pas parce que Boudjellal est un vendeur de soupe qu'on doit dire qu'il a tort quand il a raison.
Astérix est mort quand Goscinny est mort et il reste une oeuvre essentielle composée de 24 albums. Idem pour Tintin avec à peu près le même nombre d'albums.
Il faut arrêter avec cette idée frelatée selon laquelle une série ne pourrait pas être lue par les jeunes générations au prétexte qu'il n'y aurait plus de "nouvel" album. Quand ma petite fille sera en âge de lire de la BD, je lui offrirai un des 24 albums d'Astérix, plutôt que le dernier album tout chaud de cette merde infâme de Mortelle Adèle, et elle redemandera du Astérix jusqu'à avoir lu tous les 24 albums !
La BD est en train de se trucider toute seule avec cette déréliction du principe de la série. On a maintenant la série (la vraie), la reprise de la série, le personnage pris à l'âge tendre (le "petit" Machin), la série "vue par" un autre auteur, la série du personnage secondaire (ou du petit chien du personnage secondaire), j'en passe et de pires "spin-off". C'est à ce propos que moi je demande "il reste quoi des séries classiques aujourd'hui", au milieu de toute cette débauche de consommation de "produits".
J'adore la série des romans policiers de Maigret mais je trouverais plus que saugrenue l'idée de confier à un romancier même très talentueux la suite des Maigret. Simenon est inimitable et irremplaçable. Et tout le monde continue à découvrir et redécouvrir et lire et relire les Maigret. Goscinny est dans son domaine un auteur de la trempe de Simenon et ce qu'il a créé n'a de réalité que conçu par lui.
Toutes ces prolongations de série n'ont qu'un objet commercial, d'ailleurs manifeste. Quand tu penses que j'ai même vu l'autre jour l'album de Ferri et Conrad dans le petit Monoprix où je fais mes courses et qui n'a jamais eu le moindre rayon de librairie !
Les Iznogoud de Tabary sans Goscinny sont intéressants parce que Tabary est un bon scénariste, il n'empêche que les Iznogoud de Tabary seul, ce n'est déjà plus Iznogoud. C'est Iznogoud qui vit des aventures à la Valentin le vagabond, certes très plaisantes mais sans la saveur véritable des Iznogoud.
Les Astérix d'Uderzo sans Goscinny, ce n'est plus Astérix, les scénarios sont 10 crans en-dessous et n'ont plus le même esprit, quand bien même le talent de dessinateur d'Uderzo est resté jusqu'au bout à peu près intact. Quand à l'album du Griffon, Conrad dessine remarquablement une sorte d'univers d'héroïc fantasy à la Conan ou à la Game of thrones, avec 100 fois moins de lisibilité que les albums d'Uderzo, et Ferri fait de l'humour astucieux dérivé de l'esprit Canal plus, qu'il sait malheureusement assez mal mettre en place, avec aucun sens de la narration sur 44 planches.
Que va-t-il rester de la série Blake et Mortimer quand les 8 récits extraordinaires de Jacobs seront noyés dans les 50 albums qui auront suivi ? Quel sens cela a-t-il ?
Ou bien alors on bouffe de la BD comme on joue à Candy crush, pour perdre son temps à ne plus apprécier le sel de la vie.