Bon, puisque ici on dissèque et que je trouve le résultat souvent pertinent, j'y vais de mes deux balles (pour la pertinence, je me fais aucun souci, vous jugerez...
).
Or donc, lisant Conrad depuis ses tout débuts (ses "Carte blanche"), je pense avoir une certaine idée -- la mienne... -- de ce qu'il sait et peut faire. J'admire le virtuose, j'ai tiqué chaque fois qu'il a épuré au point de sembler bâcler, mon admiration et ma reconnaissance de lecteur sont indéfectiblement acquises au co-auteur des
Innommables, c'est dit.
Autant j'ai été un peu déçu par
Les Pictes (déception tempérée par ce que j'ai appris des conditions de réalisation, même si dans quelques lustres cette donnée sera sans doute oubliée et que les pages seront jugées, sous l'angle du scénario comme celui du dessin, pour ce qu'elles seront restées), j'ai constaté un net progrès dans
Le papyrus.
Toutefois il y a encore un tas de détails qui me gênent -- ou à tout le moins me surprennent, de sa part --, de cases qu'il aurait pu/dû reprendre, parfois pour leur composition, le plus souvent parce que les personnages ne sont pas au point et que j'ai eu le sentiment qu'il aurait pu mieux faire.
Dans le débat qui consiste à savoir ce qu'on doit attendre de Conrad -- dans quelle mesure il doit "faire de l'Uderzo" pour pérenniser la collection ou bien se laisser aller à faire aussi du Conrad --, chacun a sa sauce, mais il y a un domaine qui me paraît évident, c'est que souvent Conrad ne fait pas ce qu'Uderzo -- selon moi -- à sa place aurait fait. Ça m'a souvent sauté aux yeux dans
Le papyrus. Je prends trois exemples seulement.
Planche 25 A :
- Capturer1.JPG (43.49 Kio) Vu 684 fois
Je suis persuadé qu'Uderzo (et, probablement, suivant en cela le découpage de Goscinny) aurait découpé différemment, par exemple en mettant les deux bulles hors champ pour serrer sur le soldat, qu'on aurait vu acquiescer avec beaucoup de solennité. Ici, le soldat est à l'arrière-plan, et s'il est bien le dernier élément sur lequel s'arrête le regard, il est quand bien fort en retrait, et je suis persuadé que certains lecteurs n'ont pas fait le rapprochement entre "mes guetteurs" et lui. C'est pas rhédibitoire, mais bon, dans ce cas-là l'effet recherché n'est pas atteint, et ça me surprend de la part de Conrad.
Planche 24 B :
- Capturer2.JPG (42.96 Kio) Vu 669 fois
Ici encore, je pense qu'Uderzo aurait serré sur Promoplus seul, par exemple se frottant les mains (quand bien même ça l'aurait tiré du côté de Détritus, auquel je trouve qu'il ressemble déjà un peu trop en l'état). Conrad a choisi (je suppose) de faire une belle image, bien remplie, avec des pépés, mais ça me semble une pollution tout à fait inutile (outre que je leur préfère une Alix !). Uderzo n'éprouvait pas le besoin d'habiller ses cases d'accessoires inutiles, voire nuisibles à la lecture. Ça lui est arrivé, mais vraiment rarement.
Planche 44 B :
- Capturer3.JPG (59.99 Kio) Vu 673 fois
J'ai déjà dit tout le bien que je pense de cette innovation, de cette démarque du moule du banquet. Par ailleurs, c'est en lisant viguigui33 :
viguigui33 a écrit:Double hommage car elle fait bebert regarde une jeune femme au trait de Falbala qui est en fait Ada la femme d'UDERZO
que j'ai compris ce qui me choquait sans cette case : la réaction de Bébert, qui ne me semblait pas adéquate -- et pour cause : si viguigui33 a vu juste, on voit Bébert faire deux choses à la fois dans la même case : répondre à René et mater la passante. Il a longtemps été admis qu'il ne doit pas y avoir deux actions effectuées par le même personnage dans une même case, des tas de gens ont transgressé ça avec profit (Gotlib parmi tous les autres), mais ici je vois une bête erreur de composition (peut-être d'ailleurs induite par le découpage de Ferri ?).
Au-delà des discussions de détail, il me semble que l'intérêt majeur de la continuation de la série (la seule que je vais sans doute poursuivre après que le dernier auteur ait passé la main) réside dans le fait de découvrir quelle direction elle va prendre. Plus haut on louait l'impeccable lisibilité des planches d'Uderzo, et on ne peut pas taxer Conrad d'amateur. Quoi qu'il en soit le lecteur que je suis aura sans doute un peu de mal à se faire à l'écart qui existe entre ce à quoi Uderzo m'a habitué et ce que Conrad s'autorise.
Cela posé, je ne demande qu'à être positivement déboussolé et agréablement surpris.
P.-S. Je viens de lire la déclaration d'Anne Goscinny rapportée par
alambix. J'ignore s'il faut comprendre que Jul peut commencer à ressortir ses synopsis (et Corteggiani et les autres ?), et si elle a voix au chapitre au point de pouvoir mettre un terme au travail de Ferri et Conrad, mais ça doit leur faire un drôle d'effet d'entendre ça. Je ne doute pas que juridiquement tout soit paré depuis le début (y compris leur -- éventuel -- statut de "précaires"), mais tout de même, on suppose qu'au-delà du fait d'avoir embourbé pas mal de blé -- pour prix d'un investissement de travail sûrement pas loin de colossal --, s'entendre dire qu'aux yeux de l'héritière ils ne seront jamais que des figurants... J'espère -- je suppose ! -- que leur bonheur est ailleurs...