L'art est "cosa mentale" disait Léonard. Ca fait quand même un bout de temps qu'il l'a dit, et c'était bien pour marquer la différence avec l'artisan. L'artiste fait oeuvre d'esprit en premier lieu. C'est sans doute pourquoi la question de l'utilité pratique est en un sens encore adéquate. (J'ajoute pratique, parce que j'ai toujours du mal à dire que les "oeuvres de l'esprit" sont "inutiles").
Avec tout le respect et l'admiration que je dois à maître Léonard, je trouve cette notion de
cosa mentale un peu bancale. Ou, tout du moins, partiale.
De Vinci s'est évertué à montrer que l'Art était quelque chose de plus noble que l'artisanat. Cette conception remonte à Aristote, qui voyait une supériorité dans les arts libéraux (la rhétorique, la philosophie...), par rapport aux arts mécaniques, manuels.
J'aimerais remettre la "cosa mentale" dans son contexte. De Vinci, donc, disait: "
La peinture est d'abord dans l'esprit de celui qui la conçoit et ne peut venir à sa perfection sans l'opération manuelle ".
Jusque là, il n'y a pas de différence avec un artisan qui fabrique un bol. L'artisan va imaginer les courbures, les angles, les proportions qu'il donnera à son bol, avant de le fabriquer...
"
Les premiers principes vrais et scientifiques de la peinture établissent ce qu'est le corps opaque, l'ombre primitive et dérivée, l'éclairage, c'est à dire obscurité, lumière, couleur volume, figure, emplacement, distance, proximité, mouvement et repos. … Tout cela se comprend mentalement, sans travail manuel ; Cela constitue la science de la peinture, résidant dans l'esprit du théoricien qui la conçoit, une 'cosa mentale' "
Ce qui me semble intéressant dans cette phrase, c'est que De Vinci, ne se réfère qu'à des choses formelles, visuelles... On est loin des "concepts" de l'Art moderne. Là encore, je ne vois pas d'antinomie avec l'artisanat. Mon potier doit, lui aussi avoir une idée des volumes et certaines connaissances scientifiques pour que son bol ne se casse pas, ne s'éfondre pas... Pour qu'il tienne, tout simplement, en amont de sa réalisation.
Alors, tu me diras peut-être: le bol a une fonction, alors que la Joconde n'en a pas. Le bol doit exister, alors que la Joconde aurait pu rester dans l'esprit de De Vinci. Ben, je ne suis d'accord ni avec l'un, ni avec l'autre. Si je n'ai pas de bol, je peux boir avec mes mains. Et on peux étendre ça à tous les artisanats. Si je n'ai pas de chaise, je peux m'assoir par terre. Si je n'ai pas de bibliothèque, je peux aligner mes BDs contre le mur. Si je n'ai pas de maison, je peux vivre dans une grotte... L'artisanat a pour fonction de rendre notre existence plus confortable, mais il n'est nullement indispensable. Comme la peinture.
Ls deux sont à la fois inutiles à notre survie et indispensables à notre équilibre et notre bien être.
Au fond, ce qui me rassure, c'est que même De Vinci semble se contredire. Il ajoute: "
La science de la peinture procède ensuite à l'exécution., beaucoup plus noble que ladite théorie ou science "
Voilà, tout est dit. La peinture est "cosa mentale", oui, mais sa noblesse réside justement dans l'activité manuelle qu'abhorrait Aristote. Là encore, pas de différence majeure avec mon potier et son bol.
lorsqu'il s'agit de tirer du néant, je voudrais dire que déjà tout petit, je faisais des dessins dans ma purée - même si personne n'y comprenais rien...
C'était déjà "cosa mentale" et en plus, ta mère voyait peut-être en toi un artiste en herbe?