Depuis le début, je suggère qu'il n'y a pas de différence majeure entre l'Art et l'artisanat. [...] Un artisan va passer plus ou moins de temps à apprendre les techniques de son métier et il va passer plus ou moins de temps à expérimenter.
Mouais.
Disons qu'historiquement, l'opposition se fait plus entre artisan et industriel, entre le fait-main et l'usiné. L'artisan, c'est quelqu'un qui fait chaque pièce un rien différemment (parce que l'humain n'est pas infaillible), mais dans le but d'avoir une production de série quand même. Ton potier ne fait que des pots, peut-être en plusieurs tailles et plusieurs modèles, mais ce sont des pots, et l'objet est ancré dans de l'utilitaire. Après, cet utilitaire peut avoir été réintégré avec des valeurs de décoration et/ou de folklore à la place des valeurs utilitaires, mais l'idée demeure quand même.
En opposition, l'industriel et ses modèles tous rigoureusement identiques, fabriqués en grande série et distribués à grande échelle. Au passage, c'est d'ailleurs dans cette optique que le travail du Bauhaus était intéressant, dans ce désir d'injecter une réflexion artistique et humaniste dans une production de ce genre.
Mais la notion d'artisan reste liée à celle de l'object qu'il produit -- pour preuve, la définition donnée dans le Dictionnaire de l'Académie Française:
ARTISAN n. m. XVIe siècle, d'abord
artizan. Emprunté de l'italien
artigiano, « celui qui exerce un art manuel, un métier », dérivé de
arte, « art ».
1. Personne installée à son compte pour exercer un métier manuel.
Une échoppe, un atelier d'artisan. Un petit artisan. Un artisan habile, ingénieux. Un maître artisan, artisan justifiant d'une qualification professionnelle règlementée ou coutumière.
Travail d'artisan, travail mettant en œuvre une habileté professionnelle. Prov.
À l'œuvre, on connaît l'artisan, on connaît la valeur d'un homme à ce qu'il fait.
2. Exp. fig.
Être l'artisan de, être, par son activité, responsable de.
Il est le principal artisan de cet état de fait. Il a été l'artisan de son destin. Elle fut l'artisan de son malheur.
A la différence de l'artisanat (notion qui a sans doute pris toute son importance uniquement après la révolution industrielle), l'art a toujours été associé à des idées de statut, et donc de pouvoir. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle l'art s'est beaucoup développé en parallèle avec l'avénement d'une classe bourgeoise désireuse de montrer son accession au pouvoir face à la noblesse, et ce qui a donné lieu aux peintres pompiers et aux oeuvres de commande durant le 19e siècle.
Ensuite, pour ce qui est de la différence entre artisans et artistes, il faut prendre en compte la démarche de Marcel Duchamp, qui a poussé jusqu'au bout le questionnement de ce qu'était un artiste, avec en particulier ses ready-made, mais également son travail sur les musées en miniature (les boites-en-valise): l'art est désigné par l'artiste, et c'est cet acte même qui définit et établit l'artiste. Ce n'est pas le talent, ce n'est pas la technique, c'est l'acte créatif revendiqué comme tel.
Cf. les déclarations de Duchamp sur la Fontaine signée R.Mutt: "Que Richard Mutt ait fabriqué cette fontaine avec ses propres mains, cela n’a aucune importance, il l’a choisie. Il a pris un article ordinaire de la vie, il l’a placé de manière à ce que sa signification d’usage disparaisse sous le nouveau titre et le nouveau point de vue, il a créé une nouvelle pensée pour cet objet."
Alors bien sûr, on peut trouver ça un peu facile et dire que "ouais, moi aussi je peux faire pareil et dire que n'importe quoi est de l'art". Sauf que pour Duchamp (et pour d'autres artistes), cet acte est une véritable mise en danger. Les Dadaïstes se sont vus censurés, les caricaturistes allemands comme Otto Dix ont été limogés et certaines de leurs oeuvres brûlées, Egon Schiele s'est vu arrêté pour pornographie, etc...
On oublie souvent que bon nombre des courants artistiques ont été l'objet de dissensions et de rejets violents de la part de la société, avec les conséquences pas toujours très glamours pour les artistes.
Pour revenir à la bande dessinée ... je ne comprends pas trop pourquoi on évoque l'artisanat ici, dans le sens où l'artisanat produit des objets, et pas des messages. A moins que l'on parle d'éditeurs comme le Drozophile, ou la micro-édition et qu'on se focalise sur la réalisation et la reproduction en série limité des objets, cette considération n'a pour moi que peu de sens.
Ensuite, la discussion en divertissement et art, on tombe sur les considérations low art/high art, mélangées à des considérations de talents et de qualité -- ou même d'ambition.