Je te laisse faire le tri.
Bandes dessinées d’afrique.s, intentionsAprès la grande exposition consacrée à La Nouvelle bande dessinée d’expression arabe créée en 2016, la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image présente « Kubuni*», les bandes dessinées d’Afrique.s. Cette exposition est une road map qui se déploie autour de trois grands axes à la découverte des bandes dessinées de l’Afrique Subsaharienne d’Hier d’Aujourd’hui et de Demain.
Deux événements Africa 2020, saison des cultures africaines proposée par le président Emmanuel Macron et 20-21 Année de la Bande dessinée, lancée par le ministre de la culture, Franck Riester, ont fourni le prétexte à la mise en oeuvre d’un projet ambitieux sur la bande dessinée africaine, dans le cadre d’un partenariat tripartite signée en 2018, entre la Cité Internationale de la Bande Dessinée et de l’image, L’ Institut Français du Congo et Bilili BD Festival, le Festival International de la Bande Dessinée du Congo Brazzaville. Ce projet : partir à la découverte d’un continent, celui de la bande dessinée africaine ! Dans un article consacré à la bande dessinée en Afrique francophone, Hilaire Mbiye Lumabala enseignant chercheur de l’Université Catholique de Kinshasa écrit : « Beaucoup s’interrogent encore sur l’existence de la bande dessinée. D’autres se demandent si elle peut être considérée comme africaine». Entreprendre de répondre à ces questionnements, c’est, comme l’ajoute avec justesse Hilaire Mbiye Lumabala, « montrer que la bande dessinée africaine est une réalité et non un mythe, qu’elle se lit, se vend et qu’elle existe sous différents formats », et ce depuis parfois longtemps. C’est aussi rappeler que des auteurs originaires d’Afrique – Marguerite Abouet de Côte d’Ivoire, Barly Baruti du Congo RDC, Didier Kassaï de Centrafrique, Adjim Danngar du Tchad, Gaspard Njock, Christophe Ngalle Edimo, Reine Dibussi ou Annick Kamgang du Cameroun, Joël Salo du Burkina Faso, ou Loyiso Mkize d’Afrique du Sud, sont de plus en plus présents sur une scène internationale toujours plus mondialisée, preuve éclatante de la vitalité de cette bande dessinée.
Telle est donc l’ambition de l’exposition Kubuni, les bandes dessinées d’Afrique.s : partir à la rencontre d’artistes et montrer la réalité d’oeuvres conçues et diffusés en occident (Europe, USA…) mais aussi sur le continent africain, en album, dans des journaux, en applications pour smartphones… Des bandes dessinées d’inspirations culturelles, linguistiques, puisant leurs inspirations dans des traditions graphiques et narratives anciennes, d’une grande qualité et diversité, à l’image des nombreux pays et régions qui composent le continent africain.
Précisément, est-il judicieux de parler de « bande dessinée africaine », entendue comme un bloc monolithique, comme le produit d’une identité thématique, graphique, unitaire dès lors que les bandes dessinées issues du continent africain sont les fruits d’héritages coloniaux, linguistiques, religieux, et de représentations du monde, dans bien des cas très dissemblables ? Les oeuvres conçues dans les pays d’Afrique de l’Ouest peuvent être assimilables aux pays qui composent cette région du monde et différer de celles produites en Afrique du Sud par exemple. Conscient de ces disparités, le spécialiste Christophe Cassiau- Haurie préfère plus justement parler de « la bande dessinée en Afrique » ; évoquant là même le caractère fluctuant du statut de la bande dessinée et des auteurs d’un pays à l’autre : considérée comme une « littérature, dessinée » pour enfants dans certaines régions, elle est englobée parmi les productions relevant de la caricature dans d’autres, quand elle ne se confond pas dans un ensemble multi médiatique regroupant de manière indifférenciée bande dessinée, caricature, illustration, dessin animé et jeu vidéo dans certains pays.
Face à cette diversité des réalisations et des traditions, reflet au fond des différents visages de l’Afrique, l’exposition propose une vision plurielle du Continent, dont témoigne le « s » apposé à « Afrique.s ». Cette exposition parle donc des bandes dessinées des « Afriques » évoquées à travers les oeuvres de plus de cinquante autrices et auteurs issues des 48 pays d’Afrique Subsaharienne, des résidents ou de la diaspora. L’Afrique du Nord, Maghreb, ayant déjà fait l’objet d’une mise en avant dans le cadre de l’exposition consacrée à la Nouvelle bande dessinée d’expression arabe, n’est pas représentée dans Kubuni.
Si on ne peut parler de LA bande dessinée africaine une et indivisible, il est toutefois possible d’observer des proximités esthétiques et thématiques entre les différentes productions issues du Continent africain. La colonisation qui a imposé une acculturation aux pays dominés explique certainement l’influence esthétique de bandes dessinées dans certaines régions du Continent et explique les similarités d’un pays l’autre. Ainsi les contrées sous domination française ou belge se caractérisent souvent par des bandes dessinées inspirées par la ligne claire hérgéenne, les récits lus dans Pif gadget ou ceux proposés dans les « petits –formats », tandis que les régions anglophones sont marquées par une très nette influence de la tradition anglo-américaine et particulièrement celle du genre des super-héros. A ces modèles extérieurs s’ajoute celui du manga, résultat du phénomène de globalisation culturelle de la culture populaire japonaise, à travers les dessins animés, les jeux vidéos, et la bande dessinée, largement diffusé par un usage significatif des nouveaux canaux de diffusion des GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft). Ces différentes influences extérieures combinées à certains particularismes culturels propres au continent africain ont favorisé l’éclosion de bandes dessinées qui ont défini leurs propres normes thématiques ou esthétiques. Les sujets rencontrés ici et là signent l’appartenance de certaines productions au continent africain : la vie quotidienne, l’Histoire, la politique ou le folklore africain. Certaines d’entre elles les racontent fidèlement, pendant que d’autres les modernisent et les combinent dans des mondes de science-fiction similaires au nôtre, mais peuplés de créatures et de couleurs incroyables. C’est ainsi que la combinaison entre des récits ancestraux à vocation magiques et l’imaginaire moderne des comics a favorisé l’apparition de nouveaux héros et même de super-héros typiquement africains, voire de bande dessinée relevant du mouvement afrofuturiste - cette esthétique qui redéfinit la culture et la conception de la « communauté noire » en interchangeant des éléments de science-fiction, d'afrocentrisme et de réalisme magique dans un cadre non occidental et dont on retrouve trace un peu partout dans les bandes dessinées en Afrique - .
*Kubuni : Vient du Swahili, et signifie « création imaginaire ». Le Swahili est une langue parlée dans une très grande partie de l’Afrique sub-saharienne.