Ami-de-Spirou a écrit:Ami-de-Spirou a écrit:Bonjour,
Comme vous tous, j'aimerais, moi aussi, que ce dessin attribué à Franquin soit "bon".
Malheureusement il semble bien que ce soit l'oeuvre d'un faussaire.
Techniquement c'est très habile. Mais le dessinateur ne connaît pas finement l'oeuvre d'André Franquin, loin s'en faut, et il a commis plusieurs grosses erreurs qui invalident son authenticité (à moins d'une information supplémentaire qui apparaitrait ici comme en coup de théâtre, et authentifierait cette illustration).
Il "suffit" de se poser quelques bonnes questions et on arrive à cette conclusion terrible, effarante, effrayante : c'est très probablement un faux.
Bien avant la vente, arguments à l'appui, j'en ai informé quelques collectionneurs anciens, fiables, et sérieux.
Techniquement je ne discute pas de la "qualité" de cette illustration.
La patte, le trait, la finesse d’exécution, le style graphique, bref, la paternité semblent bien de Franquin.
Mais...
1
Jamais André Franquin, de son vivant, n’a mis en scène le Marsupilami utilisant consciemment, comme le ferait un être humain, un outil humain.
Jamais.
C’est une règle intangible.
C’est rédhibitoire.
Quelqu’un peut-il montrer ici un dessin ou une planche prouvant le contraire ?
Personne, n‘est-ce pas ?
Et à mes yeux ce seul point suffit à faire pencher la balance plutôt du mauvais côté...
(Il a fallu attendre Disney pour voir le Marsu s’éclatant en jouant de la guitare électrique, par exemple.
D’ailleurs, Franquin regrettait d’avoir à plusieurs reprises, au fil des albums, donné de nouveaux attributs à son personnage, cf ses entretiens avec Numa Sadoul).
Grand bien fasse aux uns et aux autres pour qui cet argument n'a aucun poids.
Après tout, il n'est pas impossible que Franquin ait, ce jour-là, fait une exception : dans ce cas ce dessin est parfaitement authentique.
2
Jamais Franquin ne commettait volontairement de telles « erreurs » d’échelle entre deux personnages.
Jamais.
Cela ne lui ressemble pas du tout. Mais vraiment pas.
Il aurait fait un écart à la règle ?
Mais une « licence poétique » est toujours fondée, justifiée par un contexte particulier, dans un but précis : elle n’est jamais gratuite, jamais.
Seuls les sots sont convaincus que la « poésie » est synonyme d’absence de règles.
Toute création (« poiesis ») s’appuie sur des règles fécondes, dont on ne s’affranchit jamais sans que cela fasse sens.
Quel est ici l’intérêt de miniaturiser Gaston ?
A ce stade, sans réponse à cette question, on peut objectivement nourrir un très gros doute sur ce dessin.
On peut aussi ne pas se poser trop de questions et dire amen. C'est plus confortable.
3
Admettons qu’André Franquin ait volontairement transgressé ces deux règles.
Ce n’est pas impossible, après tout.
Si on admet que ce n’est pas un faux, alors, cette illustration serait un cas unique, un « hapax » dans la production très abondante de Franquin, un « hapax » aussi bien du point de vue de l’esprit du Marsu que de la composition du dessin.
Dans ce cas, nous sommes face à un dessin totalement atypique, un dessin « extra-ordinaire », un dessin exceptionnel.
Pourquoi pas ?
Pour faire plaisir à quelqu’un, ou pour sortir de la « routine », pourquoi pas.
Mais pourquoi dans ce cas ne pas l’avoir dédicacé à son destinataire ? Surtout quand on mesure le travail que cela a demandé.
Et s’il s’agit d’une commande publicitaire, pourquoi ne pas avoir signé le dessin ?
Là non plus, ce n’est pas logique ni dans l’ordre des choses.
4
Les derniers dessins « oubliés » et inédits de Franquin qui ont ressurgi ces dernières années ont tous une « traçabilité » connue, et une raison d’être précise (les dessins du parc d’attraction ; le dinosaure ; les dessins pour les personnages latex, etc.).
J’ignore si on apprendra un jour à quoi ce dessin aurait pu être destiné, mais je suppose que sa provenance est très fiable (et on peut comprendre la discrétion du déposant), et cela permettra de mettre à bas les doutes légitimes soulevés par les points 1, 2 et 3.
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N’oublions pas que tous les plus grands Maîtres ont été copiés avec brio un jour ou l’autre, quels que soient les techniques, les matériaux, la composition des pigments picturaux datant parfois de plusieurs siècles.
Se mouler dans le style graphique d’André Franquin, ou vieillir artificiellement de l’écoline est un jeu d’enfant pour les faussaires de génie.
Et pour le reste, la « suspension d’incrédulité » peut permettre de faire passer pas mal de vessies pour des lanternes.
A ce stade, je me garderai bien d’être formel : c’est peut-être un « bon » dessin, c’est bien possible, c'est tout à fait possible... et après mûre réflexion, c'est sans doute un vrai Franquin puisqu'il a trouvé un amateur qui - comme la grande majorité des participants de ce forum- en est totalement convaincu. Vox populi, vox dei...
Je me suis contenté d’exposer ce qui me fait tiquer, dans l'état actuel des choses, en espérant en apprendre plus bientôt.
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De nombreux autres arguments très solides peuvent être soulevés, dans un sens comme dans l'autre, je vous laisse le faire, car je me suis déjà montré assez bavard.