Concernant les partis-pris éditoriaux, j’ai vu quelques interrogations qui témoignent de certains malentendus.
Sur la question des deux éditions, « luxe » et « pas luxe » : il n’y aura qu’une seule édition. A ma connaissance, il serait envisagé de faire une version sans dossier, peu chère, mais si elle paraît ce ne sera pas en même temps que ce volume. Le dossier faisant plus de 120 pages, il ne s’agira pas du tout du même livre. L’ouvrage à paraitre en novembre forme un tout, la restauration, les couleurs, le dossier, tout a été fait ensemble, au gré de découvertes et d’un travail que je vous partage ici.
Au sujet du fait de ne pas intégrer Les chapeaux noirs et Mystère à la frontière : j’avais pensé, moi aussi, faire un volume dont le contenu serait exactement le même que celui de l’intégrale précédente. Mais cela s’est avéré impossible, car cela revenait à sous-estimer deux choses :
1) L’ancienne intégrale, qui va du Tank jusqu’à Mystère à la frontière, contient 195 pages de bandes dessinées. Or, si ces histoires ne font « que » 195 pages de bandes dessinées dans ce volume, c’est parce qu’elles sont largement remontées (traduire : massacrées), tout le monde ici doit sans doute le savoir : les planches de 4 strips de Franquin sont remontées en 5 pour les albums.
Ce remontage a été chapeauté par André Franquin, c’est vrai, mais c’est quelque chose qu’il a subi, imposé par la standardisation des albums voulue par l’éditeur. De plus, si le remontage des histoires de 4 aventures… a été fait quasiment à la même époque que ces récits eux-mêmes, le remontage du Tank, de L’héritage, de Radar, a été fait quant à lui en 1974, 30 ans après la production de ces histoires, et ça se sent franchement. Mais même celui fait dans les années 1950 nuit aux récits. Voici un exemple avec un extrait des Plans du robot. Pour gagner de la place, Franquin a enlevé dans la version album la case où Spirou jette un coussin sur le gangster.


Cela crée un faux-raccord bizarre. Plusieurs strips entiers ont été enlevés de la version originale pour l’album, comme celui-ci, rarement pour le mieux.

Franquin disait lui-même qu’il produisait pour le journal. C’était là que sa création se jouait. La version non-remontée des planches est la seule à présenter le souffle d’origine de l’histoire.
Dans le cas de Mystère à la frontière, histoire pensée pour des strips de deux cases, c’est une véritable boucherie, sur laquelle Franquin était revenu, profitant de l’édition Rombaldi pour en présenter la version non-remontée. L’histoire, de 27 planches à l’origine, est compactée en 16 planches dans la version album (et donc dans la version publiée dans l’ancienne intégrale) !
Voici un exemple entre le découpage d’origine d’une planche de Mystère et sa version-compact.

Cette question du montage d’origine est importante. C’est notamment parce que les histoires sont reproduites dans leur souffle feuilletonesque d’origine qu’elles ne sont pas du tout les mêmes que celles qui sont en vente en librairie depuis soixante-quinze ans.
En reprenant le montage d’origine, l’intégrale à paraître se retrouve à présenter …194 pages de bandes dessinées. Soit, à une page près (!), le même nombre que l’intégrale actuelle. Si j’ajoutais Les chapeaux noirs, qui fait 19 planches dans le montage d’origine, et Mystère à la frontière, qui fait 27 pages dans son montage d’origine, il fallait donc proposer une intégrale avec 46 pages de plus ; ayant une limite de pages imposée, ça aurait été 46 pages de moins dans le dossier, et donc 46 pages de moins de dessins rares et inédits, et de reproductions de planches originales.
Comme je le disais en résumé : c’est donc tout le contenu de cette intégrale qui diffère de la précédente. Avec de nombreux ajouts de cases et strips inédits, comme par exemple les cases de résumés, qui avaient été redessinées par Franquin.
Il importe donc que ceux qui ont la version album grâce à l’ancienne intégrale, la version editeur’s cut, la conservent. Cette version album, avec des cases enlevées, des cases redessinées, et des titres dessinés par Franquin, n’est pas celle proposée par cette intégrale 2025.
2) L’intégrale en vente jusqu’à aujourd’hui comporte 10 pages de dossier. L’intégrale à venir comporte plus de 100 pages de dossier, avec au moins 50 dessins complètement inédits, et de nombreuses planches originales reproduites. Le tout a été réalisé avec l’aide d’Isabelle Franquin et de Philippe Queveau, qui, depuis son « Presque tout Franquin », n’a cessé de de creuser le sujet et qui a partagé ici ses extraordinaires trouvailles, contribuant de façon décisive à l’iconographie du livre. Il était revenu, auprès de Franquin, sur ses œuvres de jeunesse, discutant avec lui de ses travaux les plus anciens et obscurs, et cette intégrale était une bonne occasion de montrer tout ça.
Enfin, j’ai découvert de mon côté, à l'occasion d’un travail d'archivage que je mène en parallèle, la correspondance de Franquin et Morris entre 1946 et 1949, ainsi que les lettres de Charles Dupuis à Morris lorsque celui-ci lui a fait parvenir des dessins de Franquin pour la première fois. Il y avait donc là l’occasion de faire enfin un dossier conséquent sur la première période du travail de Franquin.
Un petit avant-gout de ces inédits avec un incroyable dessin de Morris par Franquin, dans une lettre où les deux prévoient de s’installer dans la maison de vacances des De Bévère pour y dessiner ensemble.
