Chaland avait du talent, mais quand on lit le texte repris, je me dis qu'il était c.. comme la lune. : no ::(
Bon, je vais pas tourner autour du pot: je trouve les propos de Chaland d'une rare intelligence Sincèrement. Il faut dire qu'ayant lu à peu près toutes ses déclarations, je replace malgré moi cette remarque dans le contexte plus général de sa vision des choses et de sa démarche artistique, alors que pris isolément la citation peut sembler péremptoire.
Tout d'abord une chose: Chaland et T&J s'ils ont comme point commun d'avoir fait de la bd, n'en avaient pas moins des visions totalement différentes de leur travai, du métier même d'auteur de bd. Le truc de T&J c'est de divertir le grand public en faisant honnêtement leur boulot et de vendre beaucoup d'albums (je schématise de façon outrée mais en gros c'est ça ). La démarche de Chaland n'est pas commerciale, elle est artistique. A partir de là tout est différent. Chaland a cherché à dépasser le statut de l'artisan honnête pour s'affirmer artiste qui a une réflexion sur son art. Tout son oeuvre est le résultat d'une méditation sur la bande dessinée européenne d'après-guerre, de son histoire, de son esthétique.
Evidemment T&J ont une vision de leur travail, je ne vais leur retirer ça, mais elle se situe à un niveau moindre: ils ont repris Spirou sans trop se poser de questions comme des petits jeunes, ce qui selon moi explique les "contresens" envers l'oeuvre de Franquin. Quand Franquin a repris le flambeau après Jijé la série n’avait rien de très pérestigieux, il avait tout à construire, T&j eux avaient surtout à renouer avec un univers. Ils avaient déjà la marmitte (Spirou) et les ingrédients (Champignac etc.), la tâche n’est pas si ardue.
La remarque de Chaland est incroyable parce qu'elle devance, elle annonce ce que sera la dégradation de la série qui a lieu après Spirou a New York, album charnière comme tu l'as si bien remarqué. Après cet album le duo va se démarquer franchement de Franquin et aboutir à un style qui m'a fait éloigner carrément de leurs albums: le coup des personnages musclés à la Hogarth (j'exagère ) dans Vito la déveine c'est le début de la fin, tout comme les crâne hypertrophiés ou les yeux en pruneaux d'Agen (pareil pour les scénarios : la vallée des Banni on est carrément dans l’anti Spirou). Tout ça, Chaland (mort en 1990 rappelons-le !) l'avait perçu alors même que c'était peu visible pour un oeil non averti.
La vision d’un Chaland assimilé aux peintres académiques réactionnaire de la fin du XIXe qui refusent le changement contre les gentils Impressionnistes avant-gardistes (T&J ??) me paraît complètement erronée et je vais dire pourquoi (((c:
Dans la perspective d’une vision « évolutionniste » à la Darwin de l’art (qui va poursuivant sa marche en avant dans l’innovation), le singe serait l’art antique et l’homo sapiens sapiens l’art de l'après Picasso. Disons qu’on est d’accord sur cette vision. Alors Hergé, Jijé seraient les ancêtre et les avant gardes Moebius jusqu’à l’Association ((c: Quid de Tome & Janry là dedans ? Aucune innovation dans leur œuvre, seulement des adaptations à leur époque des standards de l’art de Franquin, une sorte d’acclimatation. Les académiques ce sont eux : ils ont fait école, formés des assistants (Gazzo, Verlinden, Stuf).
Chaland est moderne et même plus que ça : il est post moderne. Pourquoi ? Sa pensée est un peu comparable à celle d’artistes des années 70 qui après les œuvres les plus radicales du conceptual art (il n’y avait plus d’œuvre sous forme sensible, l'oeuvre d’art se résumait à son idée. Tout un programme), donc, des artistes arrivant après ça ont pris acte de la fin de la modernité. Ils ont ainsi inauguré le concept de post modernité : puisqu'on est arrivé au bout, que tout a été dit alors on fait œuvre en puisant dans tout ce qui s’est fait avant comme dans un coffre à jouet, on réutilise, on détourne, on critique les prédécesseurs. Eh bien, la démarche de Chaland c’est ça. Il part sur le postulat de l’échec de la bd moderne inaugurée par Moebius, Druillet etc de leurs délires, certes ils ont ouvert des portes mais on peut pas faire Arzach ou le garage hermétique 107 fois, il faut passer à autre chose. Chaland revient donc à ce qu’il considère comme l’âge d’or de la bd (non pour des raisons idéologiques, Chaland étant plutôt de tendance anarchiste), mais esthétiques. Il faut remettre ça dans le contexte de la ligne claire, la redécouverte de la beauté du dessin d’Hergé (cf. Joost Swarte). Chaland a pris le style des années 50, mais il ne l’a pas pris au premier degré. En fait son dessin est au second degré. A travers son style il fait écho à la bd classique tout en reconstruisant son univers, avec un regard adulte qu’il a repris des «modernes » Moebius et consorts (Chaland a eu une période Moebius c’est pas pour rien !).
Si l'on veut absolument comparer l'oeuvre de Chaland a une période de l'histoire de l'art ce serait celle du manierisme (dans ce contexte, le terme n'est pas du tout péjoratif): venu après les premiers peintres de la Renaissance qui (après le moyen age) reprenaient les codes de l'art antique, les manieristes ont introduit un jeu avec les règles classique, en faisant subir des deformations (voulues) aux canons esthétiques, en introduisant des références accessibles à une élite. C'est un peu la démarche de Chaland qui déclarait (je ne me lasse jamais de cette citation): "l'incompréhension du public pour mon oeuvre me conforte dans mes opinions et m'encourage à continuer". Chaland c'est l'anticommercial, l'anti Tome & Janry. Chaland c'est l'artiste avec un grand A et la prétention justifiée à une hauteur de jugement fruit d'une longue méditation (c:
Bon, j'epsère qu'on pourra en parler de vive voix à Bruxelles le 15 si tu viens, je serai peut-être plus clair