de the frog » 10/11/2019 23:03
Je sais que j'arrive un peu tard pour une critique de cet album, il se trouve que je l'ai franchement aime.
Ou la suite que personne n'attendait du Mystere de la Grande Pyramide, la deuxieme grande aventure de Blake et Mortimer.
Mortimer va a Bruxelles contacte par un de ses amis. Celui-ci l'emmene au Palais de Justice qui domine la ville, et durant la visite, en ouvrant un passage dans un mur, ils liberent accidentellement une energie inconnue, terrifiante et terriblement dangereuse pour le sort de l'humanite tout entiere. Est-ce que Blake et Mortimer arriveront a vaincre cette force?
Je ne vais pas vous raconter plus en detail un scenario aussi riche et touffus. Disons simplement que cet ouvrage vaut largement le voyage, il est enthousiasmant du debut jusqu'a la fin. De mon cote, je l'ai trouve plus jacobsien que ce que les scenaristes repreneurs de la serie en ont fait avec ce glissement progressif de la realite vers l'anticipation, le fantastique et la science-fiction. Avec Jacobs, on ne savait vraiment jamais le moment ou on passait de l'autre cote de la porte. Bien que ce ne soit pas le cas ici, les emanations du Palais de Justice ont lieu des le debut sans quasiment aucune transition et apres quelques cases qui montrent le temps qui passe, on entre dans le vif du sujet pour ne plus jamais en sortir. Le prologue precede d'un pre-prologue afin de situer exactement cette histoire dans le cursus des heros n'ont servi que de mise en place. Le scenario montre l'evolution des rapports entre les deux hommes, une certaine tension s'est installee entre eux deux, Mortimer n'hesite pas a critiquer son ami sur la suite a donner aux evenements. Heureusement, ces tensions s'apaisent quand Blake fait appel a Mortimer pour tenter de sauver le monde (rien de moins mais tant qu'a faire, autant ne pas faire les choses a moitie, n'est-ce pas?).
Je ne saurais malheureusement jamais ce que j'aurais pense de cette histoire si je n'avais pas lu prealablement l'integrale des Cites Obscures du meme dessinateur. Cela aurait ete interessant. J'ai beaucoup aime cette serie et comme c'est une lecture tres recente, il m'a ete aise de deceler ici et la de nombreuses references, il en est ainsi de la cage de Faraday qui entoure le Palais dans cet album, cage qui ne peut que rappeler le cube grandissant demesurement dans le Cite Obscure, La fievre d'Urbicande. Je ne vais pas en faire une liste exhaustive, cela n'a aucun interet. Par contre, comme vous le savez peut-etre tous, la serie des Cites est finie et Schuiten a anonce le preintemps dernier qu'il arretait la BD. Or, du fait que l'action de ce B&M se situe dans une de ces villes (si ce n'est LA ville) qui ont inspire fortement la serie des Cites, et considerant les references avouees ou non, il est impossible de separer ces deux univers quand on connait les deux. Or, et c'est la que reside une des reussites de cet album, la rencontre de ces deux univers a priori fort differents dans leur esprit et dans leur thematique offre un resultat extremement coherent. A quoi est-ce du? Je ne sais pas trop quoi repondre a cette question, il me semble que les auteurs ont pris ici et la des elements des Cites pour les glisser avec soin dans ce B&M sans que cela ne soit incongru. Ont-ils glisse ces elements consciemment ou non? Je ne sais pas et je me demande si c'est vraiment important en definitive, je ne suis pas la pour psychanalyser Francois Schuiten.
Rien dans le dessin de Schuiten ne laisse penser qu'il aurait pu etre un repreneur de la serie, son style est aux antipodes de celui de Jacobs. Pourtant et malgre cela, il a realise un B&M tout a fait digne des meilleurs opus du dessinateur du Bois aux Pauvres et certainement meilleur que tous ceux qui font partie de la reprise officielle. Un des aspects du scenario que j'ai le plus aime dans cet album est le fait que les auteurs ne l'ont pas situe dans les annees 50 comme c'est le cas de tous ceux de la reprise. Bien qu'etant la suite directe du Mystere de la Grande Pyramide, les auteurs ont eu l'intelligence de situer l'action quelques decennies plus tard a une epoque resolument contemporaine de la notre. C'est tres bien pense et respecte un des canons jacobsiens en l'occurrence, celui qui veut que Jacobs dessinait ses histoires au temps ou il les dessinait. Ce Dernier pharaon est definitivement moderne, il ne sent pas la naphtaline dans laquelle Van Hamme, Sente et Dufaux l'ont engoncee. Il en est de meme des fameux recitatifs de la premiere serie auxquels les repreneurs se plient religieusement. Schuiten n'en a cure et les utilise regulierement, avec discernement et surtout intelligemment.
Pour en revenir au dessin, Schuiten a decide de ne pas du tout change son style, il a donc dessine SON Blake et Mortimer, c'est sa vision et rien d'autres. Cela a fait hurler les puristes, puriste que je croyais etre et en fait non, car l'intelligent scenario fait passer le tout comme une lettre a la poste. Je n'ai pas du tout ete choque et meme, par moment, j'avais la sensation de lire un veriatble B&M de Jacobs et non un ersatz plus recent. Il est evident que c'est grace au talent Schuiten, c'est un grand dessinateur ayant de la personnalite. Qu'on aime celle-ci ou non, la n'est pas la question.
La suite du chef d'oeuvre de Jacobs et assurement un des 3 meilleurs albums du FB, La Marque Jaune avait donne un album execrable, L'onde Septimus. Celle-ci qui suit un des albums de B&M qui se trouve etre loin parmi mes preferes, a par contre donne lieu a une BD absolument remarquable en tout point. Ironique, non?
Il n'est pas indispensable de connaitre les Cites Obscures pour lire cet album, il se suffit tres bien a lui meme, c'est un authentique B&M. Mais pour ceux qui decouvrent l'auteur avec cet album, je recommande ensuite la lecture du grand oeuvre de Schuiten, elle contient quelques clefs qui aideront a dechiffrer et eclaircir quelques passages et situations.
C'est assurement un des albums de l'annee. Il figurera sans probleme dans mon palmares de decembre.
"Schtroumpfer, voilà ma devise!" Peyo