Dalmacija Ultra Trail 2019 - Mountain DUT (118km, +ou- 5200m D+), le compte-rendu"Petit" résumé de mon escapade en terre croate (à lire ou pas, au choix) :
18/10 21:50 : On est à 10 minutes du départ qui se donne dans les ruines de l'amphithéatre antique de Salona. L'organisateur a choisi ce lieu en hommage aux gladiateurs antiques avec une course pour les "gladiateurs actuels". Je laisse cette comparaison à son appréciation mais quoiqu'il en soit, le cadre est vraiment génial pour lancer la course.
Nous sommes 4 de mon groupe de trail à nous élancer sur cette distance. Le lendemain ils seront 6 au départ du 54km et le même nombre sur le 18km.
Avec mes partenaires de course (appelons les Anthony, Nadine et Steve au hasard), nous n'avons pas les mêmes objectifs. Anthony vise un classement. Steve et moi visons de rallier la ligne d'arrivée dans les délais. Nadine, qui a des qualités de course bien supérieures aux nôtres, craint un peu la nuit. On a donc décidé depuis 2 semaines que nous courrons ensemble, à tout le moins, dans l'obscurité même si elle pourrait jouer un classement féminin.
Je suis chargé comme un baudet. J'ai sur moi une poche à eau dorsale avec 1,5 L de boisson isotonique, 2 flasques de 500ml avec de l'eau et une solution salée. Des barres céréales, des compotines, des fruits secs salés, des mini-saucissons, des pastilles isostar et des friandises en gomme + des accus de rechange pour ma frontale, un coupe vent,...
km 0 : Il est 22h00. Le départ est donné, on se souhaite bonne course mutuellement et on s'élance dans la nuit dans un cortège de lampes frontales. Un groupe de djembé met l'ambiance pour nous accompagner dans les 1ers mètres.
km 2 : On ne voit déjà plus Nadine qui est déjà loin devant
km 8,8 : 1er ravito, les sensations sont bonnes et on est presque au sommet de la crête. Depuis le départ, on n'a quasi fait que monter avec une belle vue sur Split by night.
km 12 : Au sommet des crêtes comme en descente, le terrain est assez technique. Steve et moi adorons ça et on avance à bonne allure en dépassant pas mal de concurrents, on se sent bien.
km 15 : Je ressens des crampes dans les 2 cuisses. C'est super tôt et ça m'inquiète pas mal. J'arrive à les faire partir en prenant du sel pur et en buvant plusieurs gorgées. Autre problème, j'ai des lancements dans le genou droit quasi depuis le départ, le terrain rocailleux y est sans doute pour beaucoup.
km 20,2 : 2ème ravito mais 1ère barrière horaire éliminatoire, il fallait les boucler en maximum 4h... mais à ce stade-ci on a déjà bouffé près de 1100m D+. On a environ 30 minutes d'avance sur cette barrière, tout va bien. Le ravito se trouve dans la forteresse de Klis, encore un chouette cadre pour nous accueillir. On prend bien le temps de se restaurer avant de reprendre la route. Dans la descente de la forteresse, on loupe une balise et perd 5 minutes dans l'aventure. Agaçant mais on ne joue pas le classement non plus. On attaque la portion la plus costaude du parcours : 900m D+ sur une douzaine de km.
km 30 : Steve commence à avoir un gros coup de mou, il a du mal à rester dans mon sillage. Je m'arrête plusieurs fois pour l'attendre.
km 33: Il me dit de partir seul, ça ne sert à rien de l'attendre. Je continue donc à mon rythme. Il reste 2 km avant le ravito, je l'attendrai là-bas. Avant d'y arriver, il y a un sale sentier en descente, ce ne sont que des cailloux et c'est super pentu. Mes genoux en prennent un coup supplémentaire.
km 35,1 : ravito 3, Je refais le plein de mes flasques, j'essaie de boire énormément pendant la course pour éviter pas mal de problèmes. Il y a 10 ravitos sur le parcours, pas besoin d'être économe sur les liquides donc. Steve arrive à son tour et me dit que c'est fini pour lui. Rien ne va plus et l'envie l'a quitté. On se salue et je reprends ma route. Je devrai donc faire les 83km restants seul.
km 40 : J'alterne course et marche avec bâtons en fonction du terrain. J'essaie de me maintenir entre 8 et 9km-h en course pour ne pas me griller. Pas facile de dérouler vraiment, il y a toujours des cailloux. Je commence à en avoir marre de la nuit, il est 6h00 passée maintenant et l'obscurité me pèse. Depuis un moment, je sens une gêne au talon gauche, j'ignore si c'est une ampoule ou juste une irritation qui brûle mais c'est embêtant.
km 45 : Je vois enfin la lueur du soleil pointer au delà de la crête au loin, ça me remotive.
km 47 : ravito 4 et 2ème barrière horaire. J'ai un peu plus d'1h30 d'avance sur l'horaire éliminatoire, tout va bien. Je passe un long moment là-bas en prenant notamment une soupe pour me ravigoter. Il faisait assez frais pour les derniers km et je n'avais pas pris la peine d'enfiler mes manchons.
Je quitte le ravito et le jour est maintenant vraiment levé. Ça me donne la pêche. J'ai troqué ma frontale contre ma casquette.
On attaque très rapidement une très longue descente technique (et caillouteuse). Mon genou ne me gêne plus maintenant, ça aide d'autant plus. J'ai maintenant une portion de 12,2 km jusqu'au ravito suivant. Je n'avance plus aussi franchement en course, le manque de sommeil commence à se faire bien sentir, je suis debout depuis 6h00 du mat la veille et en course depuis plus de 8h.
km 50, il commence à faire très chaud, surtout pour les efforts. Ça n'aide pas pour avancer vite non plus. Quelques km plus loin, je traverse un village ou des enfants ont monté un petit ravito (il y en aura plusieurs pendant le parcours, je trouve ça vraiment chouette comme initiative, j'en profite pour leur demander de tremper ma casquette, je l'humidifierai à chaque point d'eau (ravito, rivière, fontaine,...) qui se présente tout au long de la journée. Il est inconcevable pour moi que je me loupe à cause d'un coup de chaud, je me suis fait avoir une fois cette année, ça suffit.
km 59,2 : ravito 5 et surtout, on est à la mi-course. J'ai les jambes lourdes, je suis très fatigué et la chaleur me pèse. Ma compagne est venue me rejoindre avec mes enfants pour m'encourager. Steve et sa copine sont là aussi. Je suis super content de voir tout le monde, ça fait vraiment du bien au moral. Je prends un max de petits salés au ravito pour essayer de compenser le sel que je transpire.
Le groupe m'accompagne quelques mètres, me fait un topo de ce qui reste à parcourir. La section à venir est très courte (6,8km) mais sera suivie d'une portion de 17km avec 700m D+. Je décide de m'économiser sur la petite section en prévision de la suivante. J'avance donc à un rythme très pépère. Quelques concurrents en profitent pour me dépasser mais je préfère jouer la sécurité pour ne pas hypothéquer le reste de l'épreuve.
km 66 : ravito 6 et nouvelle barrière éliminatoire. J'ai maintenant 2 bonnes heures d'avance, je me dis que je tiens le bon bout. C'est le gros ravito du parcours, on récupère un sac laissé en dépôt au départ avec ce qu'on voulait dedans. J'en profite pour changer de t-shirts et de chaussettes et je regarde l'étendue des dégâts sur mon pied ; il y a une belle ampoule de la taille d'une pièce d'1 euro, je mets du tape par dessus pour limiter les frottements. On nous sert une grosse assiette de pâtes. Ça fait un bien fou d'autant que mon système digestif commence à rechigner sur certains aliments. Mon corps commence à endurer beaucoup.
C'est maintenant reparti pour la plus longue section du parcours, ça commence à devenir difficile : chaleur et caillasse, un combo qui ne me convient guère
km 70 : J'ai commence à penser à la bière que je prendrai si je franchis la ligne d'arrivée.
km 82,9 : ravito 7. J'arrive complètement fourbu et mon moral décline, je ne suis pas de bonne humeur. Autant, j'ai espéré le soleil, autant, je voudrais maintenant qu'il soit moins généreux. J'ai du mal à avaler quelque chose de solide. Les boissons au goût sucré passent mal aussi. Je décide de prendre simplement de l'eau dans mes flasques. Je m'en rendrai compte plus tard mais c'était une espèce de limonade plate au goût hyper sucré. Je commence à sentir une ampoule sur le talon droit, j'avais hésité à mettre un tape préventif sur ce pied là aussi et j'ai renoncé, je m'en veux maintenant. Encore 3 km et ce sera la plus longue distance que j'aie jamais parcouru. Je repars mais le cœur y est moins.
km 85 : BORDEL DE MERDE, C'EST PAS POSSIBLE! J'EN PEUX PLUS DE CETTE PUTAIN DE CAILLASSE!
A croire que les gens chient des cailloux dans ce pays.
km 88 : Je n'en peux plus, on était une dizaine de concurrents assez regroupés et je me suis fait lâcher par tout le monde, je suis totalement seul. Mes jambes n'avancent plus, j'ai des souffles au cœur, j'ai la tête qui tourne, mes paupières pèsent lourd, j'ai mal aux pieds et je suis à bout de nerf, j'en ai les larmes aux yeux. Mon état m'angoisse, j'ai peur de tomber là au milieu de nulle part. Je crois que j'ai vu trop grand, ce ne sera pas possible de rejoindre la ligne d'arrivée dans cet état. Je téléphone à ma compagne qui vient de terminer son 18km. Je lui fais part de mon état, j'ai envie de pleurer. Elle me rassure, me propose de continuer à mon aise jusqu'au prochain ravito vu que j'ai de toute façon de l'avance sur les barrières et de là, essayer de simplement passer le cap des 100km qui était un objectif en soi. Je discute un long moment avec elle et ça me fait vraiment du bien. Ça me redonne un peu le moral. Je branche la 4G et je vois alors aussi plein d'encouragements de copains sur messenger et whatsapp qui me remotivent.
Je ne suis toujours pas en forme mais j'avance vaille que vaille et comme je peux.
km 93,2 : ravito 8 et dernière barrière horaire pendant la course. Le soir recommence à tomber. Je m'assieds assez hagard. Les autres concurrents qui m'avaient largués sont encore là aussi, ils n'ont pas l'air plus vaillants que moi finalement si ce n'est un Serbe que je vois depuis le début de la course et qui se grille une clope à chaque ravito (L'enfoiré!)
Je prends quelques aliments salés et des quartiers d'orange et je reste assis 15 bonnes minutes à faire le point.
Je remets ma frontale et décide de repartir. Cet arrêt et ma discussion téléphonique avec ma compagne m'ont fait plus de bien que je le pensais. Il y a maintenant 3-4 km de plat le long de la mer. A part, les jambes lourdes, les autres désagréments ont pour le moment disparus. J'arrive à repartir à bon rythme, je tiens le 9km/h et repasse 4 ou 5 concurrents sur cette portion avant que le terrain ne reparte en montée.
km 101,7 : ravito 9. Ça y est! Je suis officiellement un 100 bornards! Je suis claqué. Il reste 17km, je ne peux quand même pas laisser tomber maintenant!!! A côté de moi, un Hongrois n'a pas la même idée en tête, il abandonne.
Je repars pour la prochaine section, 8,8km pour 450m D+. A ce moment de la course, cette seule idée me fatigue déjà, je suis en course depuis preque 24h maintenant et je sens que la lucidité commence à manquer. C'est une course vraiment éprouvante.
300m après avoir quitté le ravito, je me fais rattraper par une concurrente bosnienne, sosie non officiel de Pocahontas qui engage la conversation avec moi. On fera toute cette portion en binôme, ça fait du bien de parler un peu et ça fait passer le temps et les difficultés plus vite.
km 110,5 : dernier ravito. Une ambiance de feu pour nous accueillir, applaudissements, chants, high fives,... ça redonne le sourire à tout le monde. On nous traite aux petits oignons. Ici, les ravitailleurs nous installent et nous amènent ce dont on a envie. Je téléphone aux copains qui sont sensés me réceptionner à l'arrivée, ils m'annoncent un long escalier dans le dernier km, je me demande déjà comment je vais faire pour le descendre.
Je repars en solo, je veux arriver et le plus vite possible pour en finir.
J'ai beaucoup de mal à courir, un des ravitailleurs m'avait annoncé un terrain relativement plat suivi d'une longue descente pour rejoindre la ville d'Omis mais je trouve qu'il y a encore pas mal de montées aussi.
km 117 : Voilà l'escalier annoncé, je descends comme je peux avant de me faire dépasser par le Serbe fumeur et sa coéquipière qui me passent comme 2 bombes... il m'aura dégoûté jusqu'au bout celui-là!
km 118 : Me voilà à Omis, le long de la mer, il reste quelques centaines de mètres pour rejoindre l'arrivée. Mes jambes et mes pieds me font souffrir mais l'adrénaline aidant, je relance pour finir au sprint.
Je passe la ligne d'arrivée sous les bravos de mes copains et des quelques membres de l'organisation présents. Il est quasi 1h00 du mat' et il n'y a plus grand monde. Mais je m'en fous. Oh putain! Je l'ai fait! Je suis arrivé au bout.
Par contre, cruelle déception pour moi, le bar est fermé et pas moyen d'avoir une bière, mes potes m'en prendront une dans une station service pour compenser. Je dois dire que celle-là, je l'aurai savourée.
Le jour d'après : Je me lève pour partir en excursion avec le groupe. A ma grande surprise, je marche quasi normalement. Je m'attendais pourtant à marcher comme un canard pendant 2 jours. Je ne suis pas spécialement fatigué non plus mais le contrecoup arrivera le soir.
Je fais un rapide check-up : J'ai une grosse ampoule sur le talon gauche, 2 de la même taille sur le droit. J'ai le dessus des pieds qui tire sur le mauve et une douleur de type inflammation à un des tendons du genou droit. Pour le reste, tout est ok. Je suis content.
Avec le recul, ce fut une magnifique expérience malgré le gros coup de mou et les périodes creuses. Je ne sais pas si je serais prêt à réitérer une telle distance mais je suis de toute façon très fier d'avoir réussi à aller au bout de celle-ci, d'autant que je ne suis pas un athlète né, je n'ai aucune prédisposition et je n'ai pas l'occasion de faire 5 ou 6 sorties hebdomadaires pour me préparer.
Vivement la prochaine!