Je découvre aujourd'hui l'anecdote relatée par Fan, passionnante et bien enlevée !
Tu me rappelles un pêcheur de haute-mer qui laisse tranquillement filer sa ligne pour ne ferrer qu'au bon moment. Faut avoir de bons nerfs pour jouer ainsi avec le temps et laisser monter l'enchère. Chapeau !
En ce moment je suis plongé dans les cartons (j'ai dépassé le 300ème) en prévision d'un proche déménagement. Et, ironie bienvenue, le nombre de mes cartons s'est inopinément accru de 4 unités, cadeau généreux d'un copain de brocante.
L'ami en question a acquis ce lot de cartons à la fin d'une vente aux enchères qui présentait de beaux documents dont, noyés dans la masse et détaillés très sommairement, 4 cartons de " correspondances adressées à Laval avant-guerre", sans autres précisions...une estimation de 200/300 euros n'a trouvé aucun enchérisseur, et finalement le lot est parti à 100 euros.
J'ai passé en revue ce millier de lettres et ce cadeau est vraiment de qualité, et hors de proportion avec l'estimation . Ne serait-ce que pour ces courriers signés par Jean Zay, Georges Mandel, Marx Dormoy, etc...tous apostillés par Pierre Laval !
Troublant de tenir en main ces documents où figurent les signatures de futures victimes de la Cagoule, et de la Milice (dont Laval fut le chef...). Georges Mandel ajoute pour Laval " Amitiés dévouées" à sa signature, il y a là quelque chose de cruel et de dérangeant. Le recul historique nous offre ainsi de surprenants rapprochements, émouvants et incongrus, qui voient voisiner sur le même papier les signatures d'une future victime et de son "bourreau"
L'ensemble est diversifié, émanant de toutes les classes sociales, et du monde entier, une mine d'informations sur la manière dont Laval fonctionnait comme animal politique. La tonalité générale de cette correspondance annonce en creux sa trajectoire et son fulgurant retour au pouvoir à l'été 40, fascinant.
Le hasard (qui n'en pas un, car je me trouve dans la région qu'habitait Laval) m'avait déjà offert une invraisemblable quantité de lettres identiques ( environ 2000, dont 1000 expédiées durant la "drôle de guerre"), je me trouve donc face à un ensemble d'environ 3000 courriers s'échelonnant de 1934 à juin 1940.
Comment de tels documents se retrouvent-ils ainsi dans la nature ?
C'est une longue histoire, qui prends sa source au château de Chateldon (propriété de Laval), la confiscation des biens de ce dernier à la Libération , le pillage, et la prise de possession de l'imprimerie Mont-Louis qui imprimait le Moniteur, tous deux, journal et imprimerie, appartenant à Pierre Laval, désormais supplanté sur place par la Résistance qui a "réquisitionné" cette entreprise de presse . Les archives de Laval, entreposées au château puis à l'imprimerie ,furent finalement dispersées lors de l'arrêt d'activité de cette dernière il y a une vingtaine d'années.
Depuis, ci ou là, ces archives resurgissent sur les brocantes, chez les bouquinistes, et en salles de ventes.
A trois reprise, j'ai pu en acquérir, et ainsi les préserver, en attendant de les exploiter.
J'ai consacré des centaines d'heures à inventorier, classer, commenter ces lettres, allant de surprises en émotions, croisant la prose de gens inconnus et d'autres célèbres, tous sollicitant un Laval encore respectable, avant sa descente aux enfers de la collaboration.
Le cadeau du copain m'a fait replonger dans cette époque d'immédiat avant-guerre, et du coup j'ai délaissé quelque peu mon travail d'emballage. Désormais il va me falloir mettre les bouchées doubles. J'ai hâte d'en avoir fini avec ce déménagement pour poursuivre le travail commencé sur cet incroyable corpus échoué entre mes mains.