J'ai eu une longue et intéressante discussion hier concernant le BD en général et le cas Spirou en particulier...vu que ça s'est terminé tard, je ne sais pas si j'arriverai à tout retranscrire ici...
Si vous êtes pressés, zappez car je vais être long...
Je vais sûrement me faire attaquer et passer pour un vieux rétrograde...je m'en fous, j'assumerai mes opinons...
Une grande question pour moi est : pourquoi doit-on (nous, Européens) absolument se laisser envahir par la culture japonaise ???
L'arrivée du manga en Europe est assez récente alors qu'il existe depuis à peu près la fin de la 2e guerre mondiale et a trouvé assez rapidement son public : les ados élevés à coups de dessins animés japonais et n'ayant à ce stade quasi aucune culure BD européenne. Ils ont trouvé un produit qui leur plaisait et s'y sont engouffrés avec le succès qu'on remarque aujourd'hui.
Certains auteurs les ont suivi et ont adaptés le style manga dans la BD dite européenne. Question importante : pourquoi ?
La culture BD européenne n'était-elle pas suffisamment riche ? Fallait-il absolument céder sous la pression japonaise ? C'est une question qui pour moi reste sans réponse...
L'Europe a un passé BD très riche, essentiellement franco-belge, et nous avons une conception européenne de l'album BD très différente de l'approche japonaise.
2 cultures s'afrontent...je n'ai rien contre, je pense être assez ouvert d'esprit et favorable à la découverte d'autres cultures (en plus j'aime beaucoup la culuture asiatique en général) mais là, on est en train de se faire bouffer par les Japonais.
La jeune génération aujourd'hui (je généralise un peu) ne connaît et ne s'intéresse QU'AUX mangas. Un lecteur européen de manga ne lit pas autre chose, n'est pas ouvert aux autres genres, lui ce qu'il veut ce sont les 4 tomes de sa série manga favorite par an.
Je me demande parfois pourquoi les auteurs européens, plutôt que de foncer tête baissée dans l'ouverture manga, afin je suppose de plaire à ce public jeune et nouveau et donc indirectement aux rentrées financières qui vont avec, pourquoi donc n'a-t-on pas essayer de ramener cette génération de lecteurs vers la BD franco-belge, si riche et prometteuse ?
Pourquoi a-t-on plié et s'est-on adapté à cette culture qui n'est pas la nôtre ?
Question également restée sans réponse pour moi...
Pour en revenir au cas Spirou, qui vise-t-on avec ce Spirou manga si ce n'est les lecteurs de mangas ? Sont-ils à ce point stratégiques pour les éditeurs ? Si c'est la cas, là on est vraiment dans la merde.
Un Spirou manga destiné au marché japonais ? Je n'y crois pas trop, ils ont leur production, déjà énorme, et même s'ils s'intéressent à d'autres cultures donc la française notamment, ils n'ont pas besoin de nous donc pourquoi s'attendre à un gros succès là-bas ?
Imaginons qu'un japonais se mette à faire de la BD européenne. D'abord ce ne sera jamais sa culture donc ce sera de l'adaptation. Et alors ? Fera-t-il mieux que nos centaines d'auteurs européens ? Je ne crois pas alors pour quoi imaginer l'inverse avec un Spirou manga ?
Un Spirou manga destiné au maché franco-belge ? Pourquoi ? Pour plaire à une génération de lecteurs incapables de s'intéresser à autre chose ? Bof...
Pour suivre une mode ? Re-bof...trop éphémère...
Je me demande parfois si les auteurs ne manquent pas un peu d'imagination en préférant reprendre de l'existant et en l'adaptant à ce qui marche plutôt que de recréer à partir d'une page blanche.
Tant qu'à faire, je verrais bien un auteur européen faire du manga mais par pitié, qu'il crée ses personnages, qu'il ne puise pas dans notre patrimoine pour l'adapter...qu'il appelle ses héros Martin et Durand mais qu'il laisse "notre" Spirou et Fantasio où il est...
Ca n'apporte rien à personne, ni au franco-belge qui a déjà ses bases avec la succession d'auteurs qui ont fait la série, ni au japonais qui se fout de Spirou comme de son premier bol de riz.
Je pense qu'on se dit : le manga est porteur, on va surfer sur la vague...donc on prend une série connue et on l'adapte à la sauce manga...ça devrait se vendre.
Là désolé mais on s'écarte violemment du domaine artistique...on se vend, c'est tout...
Et ça veut dire aussi que d'ici 10 ans, en sortant de la crise que traverse actuellement la BD européenne (surproduction, coûts sans cesse en hausse, élitisme forcéné,...), le marché sera majoritairement "mangaïsé", ne laissant que des miettes aux auteurs de culture européenne...ça, ça me fait peur...
Si on regarde le marché actuel, on voit que les acheteurs réchignent à payer un album 12 à 15 EUR, seuls les gens financièrement à l'aise peuvent se le permettre, les plus jeunes se focalisant sur l'occasion...ou sur les mangas...
Faux calcul car si le manga donne l'impression d'en donner plus pour son argent, à raison de 4 tomes par an, au final c'est plus cher qu'un équivalent franco-belge...mais c'est un autre débat.
Donc on peut supposer que les acheteurs d'aujourd'hui sont des gens installés, qui ont une culture BD européenne et qui continuent à s'intéressent au produit BD. Parmi ces gens se trouvent des décisionnaires, des gens influents et qui ont même permis l'introduction de la BD dans des milieux où elle n'avait jamais mis les pieds.
Seulement moi ce qui m'inquiète, c'est que dans une vingtaine d'années, ces fameux décisionnaires auront eux été élevés à la culture manga, la défendront comme nous le faisons aujourd'hui pour nos classiques, et à ce moment que restera-t-il de notre culture BD si riche ? Rien ou quelques survivants...
Mais qui sait, dans 20 ans, une autre culture BD aura peut-être fait son apparition et les amateurs de mangas devront affronter la BD indienne ou slovaque ou islandaise, que sais-je...
C'est un fait aussi que le manga couvre un nombre de sujets bien plus vaste que notre culture européenne un peu coincée depuis un moment et comme quelqu'un l'a dit, chaque lecteur y trouve son compte.
Alors pourquoi ne pas tenter l'expérience et que des auteurs européens traitent eux aussi de sujets plus larges mais dans notre style, pas en copiant les Japonais ?
La seule tentative de rapprochement qu'on peut voir aujourd'hui est le rythme de parution qui évolue dans la BD européenne. De plus en plus de séries se font avec plusieurs auteurs de façon à avoir un rythme de parution plus dense ou de faire paraître 2 albums d'un coup voire de faire des cyles parallèles pour alimenter le marché comme le font les mangas avec leur rythme trimestriel.
Ce n'est pas là à mon avis qu'il faut chercher mais plutot dans le contenu.
Un ado japonais peut trouver des BD qui le concernent quel que soit son âge et ses intérêts. Où en sommes-nous à ce niveau en Europe ? Nulle part...ou quasi.
Sorti de la BD d'aventure, policière ou de sci-fi, quelles sont les BD qui abordent les problèmes existentiels des ados aujourd'hui ?
C'est là je pense un des attraits du manga pour les jeunes, il n 'y a pas de tabou, tout est abordé et chacun s'y retrouve.
Le jour où les européens auront compris qu'il serait temps d'élargir le panel offert, ils auront fait un grand pas en avant...d'ici-là, on va continuer à se faire "japoniser" et malgré toute l'admiration que je peux avoir pour les asiatiques, je reste fermement ancré dans ma culture franco-belge...du moins pour la BD.