Merci à tous pour tous ces chouettes commentaires et je vais en profiter pour répondre à un sujet régulièrement soulevé... Et faire une petite annonce.
Je lis souvent ce genre de réflexions, souvent en bien, parfois aussi en (un peu) mal. Ou, du moins, un peu de déception : "La guerre (des tranchées) est super-bien développée, l'intrigue n'avance pas beaucoup mais c'est moins le but des auteurs".
Alors, c'est vrai que ce récit s'appelle bien "Notre-Mère la Guerre" et non pas "Le tueur des tranchées". Ce n'est évidemment pas un choix fait à la va-vite et on pourrait même dire que les intentions de départ sont inscrits en lettres lumineuses sur la façade... C'est donc un récit sur les hommes en guerre. Basé dans le contexte de celle qui a mérité plus que tout son surnom de "Grande Guerre".
Dans ce cadre, l'intrigue sert effectivement à lier entre eux plein de petits événements qui, mis bout à bout, font sens (enfin, du moins, on essaie).
Mais, celle-ci est loin d'être un simple fil conducteur dans notre esprit.
Car, de même que le titre, cette histoire de meurtres de femmes en première ligne, oeuvre sans doute d'un soldat, n'a pas du tout été choisie et développée au hasard. Je ne peux évidemment en dire beaucoup plus sans trop spoiler le tout mais la connaissance profonde, réelle, de la guerre est certainement indispensable pour connaître, in fine, le ou les assassins.
Ne prenons pas le gendarme Vialatte pour un simple rêveur patriote et exalté. C'est un limier, et un de ceux qui marchent à l'instinct. La guerre le fascine certes. Mais tout autant l'homme qu'il est que l'enquêteur dont c'est le travail.
Et, dans ce cadre, non, dix fois non, l'intrigue n'aurait jamais pu se suffire de deux tomes (même si c'est ainsi que nous l'avions envisagé tout au départ).
Parmi toutes les références qui ont nourri et continuent de nourrir "NMLG", il y a par-dessus tout le "Au coeur des ténèbres" de Conrad et, évidemment par ricochet, l'Apocalypse Now de Coppola. Or, peut-on comprendre la folie de Kurtz sans prendre le temps de découvrir la nature hostile et fascinante du Congo ou celle de la guerre du Vietnam ?
Non. En aucun cas. C'est une descente aux enfers, d'autant plus efficace qu'elle prend tout son temps. Et il serait totalement impossible d'y arriver sans ce facteur "temps", sans cette lenteur dans l'immersion qui permet, petit à petit, d'en découvrir tous les aspects.
De même, le lieutenant Vialatte, et par ricochet vous-mêmes lecteurs, ne pourrait comprendre et donc découvrir ce ou ces tueurs de femmes, agissant en plein coeur de la guerre elle-même. Bien sûr, au contraire du Conrad ou du Coppola, vous ne possédez pour le moment qu'une moitié du récit et cela peut ne pas apparaitre encore clairement. Mais j'aimerais que vous le lisiez désormais à cette lumière plutôt qu'à celle d'une "simple" découverte pédagogique plus ou moins efficace de la Grande Guerre (ni moi ni Maël ne sommes professeurs d'histoire) ou d'une intrigue purement policière. Elle est sans doute l'une et l'autre, car pourquoi boudez les différents plaisirs de développement que nous offre une histoire. Mais son tout sera à terme, nous l'espérons, bien autre chose.
Et j'en profite donc pour rebondir sur une précision qui aura peut-être fait sursauter les plus attentifs : j'ai bien évoqué que seule une moitié du récit était déjà disponible.
Car, depuis quelques jours, la décision est désormais officielle : Notre-Mère la Guerre comportera bien trois complaintes... Et un requiem. Un 4è volume donc.
Rien à voir avec le succès éventuel de cette série, l'évolution de notre réflexion datant de cet été, soit après bouclage du T2 mais avant sa sortie. En réalité, depuis le départ, le récit est construit sur deux grandes parties, une au tout début de la guerre, l'autre vers sa fin (et ce, pour des raisons scénaristiques que je ne peux développer ici). Au beau milieu du T1, nous avions déjà décidé de le développer finalement en deux tomes, justement pour avoir suffisamment de temps et de pages pour mettre en place le propos initial, les personnages, notamment ceux de l'escouade Peyrac, etc.
Logiquement, cela nous attirait vers un même dédoublement de la 2è partie à la fin de la guerre. J'ai longtemps refusé de le faire, pour de multiples raisons : j'aimais l'idée du tryptique, je voulais livrer rapidement la fin de l'intrigue, je savais que Maël préparait aussi un nouveau récit où il sera cette fois seul aux commandes et qu'il avait donc déjà repoussé d'un an pour que NMLG fasse trois albums. C'est moi-même qui ait insisté pour que l'on note "suite et fin dans la 3è complainte" à la fin du T2...
Et puis, l'été passé à travailler et surtout nourrir ce futur T3 m'a peu à peu amené à accepter cette réalité : pour la mener au bout cette histoire, il me fallait bien plus que 60 pages. De nouvelles découvertes historiques cadrant exactement avec mon propos ont achevé d'emporter le morceau... Et de convaincre Maël et l'éditeur. Contrairement à Coppola, je n'aurais donc pas à subir de "productor's cut" et je pourrais faire mes 4 heures au lieu de 3 dès le premier jet...
J'espère sincèrement que ce temps long du récit ravira ceux qui en sont déjà adeptes... Et convaincra au final les autres (qu'ils se rassurent quand même, on en restera bien là).
J'ai toujours cru que la réalisation d'un album était quelque chose de "vivant", évoluant sans cesse au gré des découvertes, réflexions et ambitions de ses auteurs. C'est pourquoi, même en connaissant sa fin, je ne prends jamais plus d'un mois d'avance sur le dessinateur et je n'écris jamais un récit en entier avant d'entrevoir concrètement la ligne d'arrivée. La conséquence de cette écriture en "improvisation permanente" est parfois un changement dans les annonces de départ, telle que celle faite aujourd'hui au sujet de NMLG.
Mais j'espère qu'au final, cette "vie" se ressent et fait partie de la qualité première, s'il y en a, des histoires que l'on développe chez Futuro avec les Davodeau, Martinez, Bailly, Nicoby, Maël et les autres à venir...
Je vous embrasse tous d'amour chers lecteurs et passionnés...
Kris.