Genug a écrit:Mais je ne crois pas que Greg aurait été capable -- ni même qu'il aurait seulement cherché à produire -- ce genre de cases
Bien vu, Genug.
Ce n'est pas faire injure à Greg que de d'énoncer cette vérité. Mais à chacun son style, ses qualités, un talent singulier, dans le dessin comme dans l'écriture de scénarios.
Tillieux, dans ces deux vignettes, se comporte à l'égal d'un grand cinéaste, un spécialiste des éclairages et des mouvements de caméra, avec ces magnifiques jeux d'ombres et de lumière. Rien de tel pour installer une atmosphère, une ambiance oppressante. On se croirait dans un film de Fritz Lang, de Billy Wilder, de Robert Siodmak, d'Orson Welles, ou encore de Jean-Pierre Melville. Je cite ces grands réalisateurs dont les trois premiers, d'origine germanique, ont connu et travaillé en Allemagne à l'époque du cinéma muet et impressionniste. Lorsqu'ils réaliseront des films noirs pour Hollywood (M. le maudit, Assurance sur la mort, Phantom Lady), la science acquise sur les plateaux de cinéma allemands avant de fuir le nazisme conférera à leurs plans et à leurs séquences un impact difficile à égaler. Seuls une poignée de très grands metteurs en scène y parviendront.
Pour ma part, je n'oserais donc pas écrire (comme lu plus haut) que Tillieux n'était pas un grand dessinateur.
Parce qu'il l'est justement devenu, à force de labeur et d'application, comme en témoignent les cases présentées par Genug. Le problème de Tillieux, c'est qu'une fois parvenu à un niveau de virtuosité graphique (en gros vers 1956), il ne saura pas s'y maintenir longtemps (de 1954 à 1963, date du dernier chef d'oeuvre "Surboum pour quatre roues", soit moins d'une décennie) là où des Calvo, Franquin, Jacobs, Giraud, Eisner (un autre dessinateur dont les liens avec Lang, Wilder, Siodmak, Welles, etc... sont particulièrement évidents) resteront au sommet durant plus de trente ou quarante années ou davantage, au cours d'une carrière parfois plus longue.
En effet, au delà du splendide jeu d'ombres et de lumières (un clair-obscur digne du cinéma expressionniste), on relèvera dans ces deux vignettes des attitudes parfaitement restituées, des proportions justes, etc... Ce cycliste, nous lecteur, en appréhendons du premier coup d'oeil l'équilibre précaire en raison des pavés et d'une vitesse insuffisante (cette vitesse, on la cerne par la position du cycliste sur le vélo). S'il n'avait pas été un grand dessinateur, même durant un nombre d'années limité, Tillieux n'aurait pas autant influencé et n'aurait pas été imité par autant de confrères : Gos et Walthéry (deux anciens du studio Peyo), mais aussi Kosc (un assistant de Tillieux), Dimberton, Rodier, etc... Le derrnier en date étant Delvaux. Mais on pourrait en citer d'autres, dont les emprunts sont tout aussi importants mais moins visibles, car davantage fondus dans leur propre style. Je n'hésiterais pas justement à mentionner Greg ou encore Tibet qui, comme par hasard, ont eux aussi débuté dans les pages d'Héroïc Albums. Mais ces habiles auteurs sauront développer un style qui leur est propre, tout comme Chaland bien plus tard, en virtuose promis à un brillant avenir si le destin n'en avait décidé autrement.