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"Le feu brulait paisiblement dans l’âtre. Les flammes nimbaient la pièce de leur aura rougeoyante. Les murs de bois craquaient par intermittence semblant vouloir rappeler le poids de leur déjà longue existence. Par les volets disjoints, j’apercevais le pâle reflet de la lune tandis que dans le lointain un animal hurlait sans qu’il fût possible de déterminer l’espèce à laquelle il appartenait.
Assis, dans ma main droite un verre de cognac, dans la gauche un révolver chargé, et, sur mes genoux, le manuscrit tant vanté m’attendait. Je portais le verre à mes lèvres. Légèrement froide, la liqueur glissa avec saveur dans ma bouche sèche. Je reposais la coupe, remontais mes lunettes et entamait ma lecture.
Les minutes passaient et malgré le feu je sentais peu à peu mon sang perdre de sa douce chaleur. Un frisson naissant faisait se dresser les cheveux à la base de ma nuque. Drogué, je continuais de feuilleter l’ouvrage, insensible à ce qui m’entourait. Le livre semblait irradier. Je peinais de plus en plus à interrompre ma lecture. Les battements de mon cœur s’accéléraient et quelques tremblements frappèrent mon bras devenu moins sur.
Une marche craqua à l’extérieur de la maison, j’attribuais aussitôt cette courte distraction sonore à l’œuvre de l’âge. Je levais vaguement les yeux, et, apercevant le lourd loquet engagé sur la porte, je me replongeais dans ma lecture. Quelle erreur ne fis je pas, car je ne le sentis pas arriver…"
« D’humeur romanesque je suis », aurait dit Yoda dans son infinie sagesse.
Après avoir entendu dire, partout et nulle part à la fois, du bien de ces deux albums du sieur Herenguel. Après avoir parcouru ce beau topic, Ô certes plus dans sa largeur que dans ses grandes longueurs, 80 pages c’est une tâche pour Hercules pas pour moi, modeste lecteur que je suis. Après avoir plusieurs fois raté la bonne occasion, celle qui n’attend que vous pour se jeter dans vos bras et de ses petits yeux de phoque meurtri vous implorer du regard. Je me suis donc enfin lancé dans la lecture de ce diptyque.
126 planches, autant de petits bonheurs à la suite. Heureux et déçu à la fois je suis. Heureux d’avoir pu parcourir ces deux bijoux, déçu d’en voir aussi vite la fin. Mais ne boudons pas là notre plaisir. Je remercie déjà le ciel, oui, n’ayons pas peur des mots, d’avoir fait de monsieur Herenguel son apôtre en cette tache.
Par quoi commencer ? Peut être par les graphismes tout simplement. Aussi importants dans une bande dessinée que la sauce blanche dans un Kebab, ils sont ici justes et ciselés. Lecteur de Krân, je connaissais la patte graphique caractéristique du dessinateur et quelle ne fut pas ma surprise de découvrir ici un graphisme léché et vivant, plus réaliste et plus travaillé, séant à merveille au récit. Les visages, les corps, les habits, les décors, tout est réussi avec justesse. Je n’ai été choqué à aucun moment par le parti pris graphique. Il est ici le complément essentiel d’une intrigue au diapason.
Les personnages, qu’ils soient principaux, seconds couteaux ou justes sacrifiables sur l’autel de l’intrigue, présentent une galerie de caractères variés, attachants ou au contraire que l’on se plait à haïr. De l’héroïne moins innocente qu’on le pense au shérif à gros sabots en passant par le général Custer réincarné, c’est une ribambelle de personnalités complémentaires ou antagonistes qui s’exposent à notre jugement de lecteur. Quel plaisir que de pouvoir souhaiter avec malice la mort d’untel ou la survie d’un autre. Ce ne sont pour la plupart pas de simples PNJ tirés avec des dés comme dans un jeu de rôle lambda, non, ce sont des personnalités travaillées et affirmées, on en vient même à regretter que l’auteur soit ainsi contraint de faire aussi court et de ne pas pouvoir nous régaler d’autres ectoplasmes qui tiennent plus de la cour des miracles que d’une bande de croyants modèles.
J’ai donc passé un agréable moment en votre compagnie invisible monsieur Herenguel. Votre spectre bienfaisant était avec moi à chaque page tournée. J’ai apprécié la qualité des deux albums, la beauté du coffret les contenant et j’ai dévoré avec plaisir les appendices situés à la fin de premier tome. J’avais bien perçu la filiation inavouée dans une moindre mesure avec les « Mystères de l’Ouest » et j’ai été ravi de découvrir plus de détails sur le religieux et sa part de fantastique qui ne sont pas étrangers à l’ambiance de ces deux opus.
J’ai particulièrement aimé la dichotomie présente tout au long de ces pages entre le bien et le mal, l’enfer et le paradis, la Force et le côté obscur, dichotomie qui se ressent dans les graphismes, le mal rodant au détour des pages, imprimant à l’envie sa marque sombre sur l’intrigue.
Il me faut maintenant conclure. Certains réclament une suite, d’autres l’honnissent. Je serais plus modéré. Je trouverais dommage de tourner la page définitivement sur tout ce temps passé à affuter votre trait, à créer un univers propre, mais d’un autre côté, vous venez de poser vous même la barre très haut. Reposez vous sur vos lauriers quelques mois monsieur Herenguel, puis revenez nous plus en forme que jamais avec un nouveau projet ou une suite à celui-ci. Que ce soit dans six mois, un an, dix ans ou dans une autre vie où je serais poisson-chat, je reste à l’affut de vos futures parutions.
Un lecteur conquis.
PS : Je guetterais dorénavant votre passage dans notre belle région afin de pouvoir, si Dieu et le général le veulent, faire orner d’une belle dédicace l’un de mes albums.