Je ne suis pas spécialiste ni de Bravo (que je viens de découvrir avec cet album), ni de Spirou (que je ne lis que depuis cet été dans le cadre de mes lectures patrimoniales) ni de la ligne claire, mais je n'ai pas été emballé…
Je comprends bien le concept (très américain d'ailleurs me semble-t-il) de réviser un héros classique, du patrimoine, de réviser son histoire d'un autre point de vue, ici plus réaliste en plongeant les héros Spirou et Fantasio dans le contexte des tensions internationales qui précèdent la Seconde guerre mondiale: les négociations entre émissaires des pays belligérants, intervention d'espions et d'agents…
Autant la mise en scène dans l'hôtel, très boulevardière, les départs et les arrivées, les déambulations dans les couloirs de l'hôtel, est agréable, même si à force l'ingénuité de Spirou devient quelque peu agaçante…
Autant je ne suis pas du tout convaincu par le dénouement (et je rejoins des critiques formulées en page 1 du topic) :
l'intuition géopolitique de Spirou qui propose une solution de sortie des négociations, l'acceptation par l'émissaire allemand, la guerre évitée donc, rien que ça, et l'intervention plus que maladroite de Fantasio qui fait échouer cette ultime compromis rendant la guerre inévitable : vraiment bof. Si on veut être sérieux et réaliste, ça ne tient pas debout. Et la révélation du rôle des divers personnages avec référence aux purges staliniennes, comme simple citation, ça me semble léger. Je comprends bien l'intention mais je ne trouve pas que ça fonctionne. Et le coup de l'écureuil dont la conscience apparait après un choc électrique et qui souhaite la disparition de l'humanité, là franchement je ne suis plus... Son plan pour éradiquer l'espèce humaine, c'est même assez limite. Et là où c'est vain, c'est de proposer l'explication de ce qui est une convention. L’animal qui parle dans Spirou n'est pas un phénomène extraordinaire, c'est une convention, un dispositif symbolique. Tenter une explication de type science-fiction me semble ridicule.
Je comprends donc le concept métafictionnel, avec référence à Tintin par exemple
dans l'histoire Tintin est le héros de BD préféré de Spirou, et à un moment il s'habille comme lui avec une chemise jaune et un pantalon de golf
mais je n'y adhère pas de cette manière: cela manque de drôlerie ou de mordant... En fait toutes les situations manquent d'acuité : les enfants - dont Spirou semble un grand frère - qui s'envoient comme noms d'oiseau les appartenances politiques des parents, la relation conflictuelle avec son supérieur Entresol, sa relation avec la jeune collègue mystérieuse, la relation avec un Fantasio arriviste et cynique. Mais rien ne semble mené jusqu'au bout.
Le parti pris du dessin pose problème : il se veut à la fois plus réaliste, mais en conservant le trait jeunesse, pour ne pas dire enfantin. Du coup toute l'expressivité de Franquin et au-delà du style Marcinelle se perd, sans trouver le second degré, le cynisme ou l'agressivité d'un Swarte. On tombe donc dans une platitude en termes de gestuelle (les bagarres ou les chutes tombent à plat par exemple, qui ne sont ni comiques ni violentes), et dans une grisaille au niveau des ambiances. On perd complètement l'aspect burlesque qui est le sel de cette bande dessinée d'aventures fantaisistes.
Si je devais comparer avec une démarche similaire, le nom qui me vient à l'esprit serait Alan Moore et là, la comparaison n'est vraiment pas flatteuse pour Bravo. En termes de dessins et d'ambiance rétro, je pense au canadien Seth mais là encore, la comparaison est largement défavorable pour Bravo.
Je n'étais pas lecteur de Spirou enfant, mais je ne serai pas du tout ravi de voir un tel traitement infligé au héros de mon enfance, le seul, le vrai, l'unique : Gaston Lagaffe !